Après un "Faith" cafardeux, The Cure pouvait-il plonger au plus profond des abysses ? Ayant tout d'abord enregistré l'un de ses meilleurs singles ('Charlotte Sometimes'), le trio s´est offert les services du producteur Phil Thornalley (Siouxsie And The Banshees, The Jam) pour poursuivre son calvaire, avec un Robert Smith au plus mal, ses angoisses et addictions ayant pris le dessus sur sa santé.
Avec sa pochette trouble, le trio en flammes refuse la clarté. À l'exception de 'Siamese Twins', un solennel enterrement électrique, l'heure n'est plus propice au recueillement. D'entrée de jeu, l'auditeur aura l'impression de voir s´écraser sur sa tête un monumental bloc de béton. 'One Hundred Years', avec ses guitares agressives, son jeu robotique de batterie, ses claviers brumeux puis fantomatiques, la voix implorante de Robert Smith, nous invite à pénétrer dans cette œuvre (ou ce caveau) sans discours superflu. Pris à la gorge, notre auditeur voyagera dans des profondeurs asphyxiantes, compressé par le roulement des compositions, encerclé par une section rythmique tribale ('The Hanging Garden', le single de l'album), cerné de synthétiseurs sinistres ('A Strange Day', qui contient un bref solo de guitare aussi inattendu que percutant, le bien nommé 'Cold' avec son macabre violoncelle joué par Robert Smith en personne), où la composition squelettique fait office d'école ('A Short Term Effect' avec sa guitare décharnée qui côtoie une basse lourde tandis que Robert Smith use de flangers sur sa voix).
Le chant mélancolique de Robert Smith exprime à nouveau des paroles d'une tristesse et d'un dégoût absolu, de soi (I will never be clean again répété sur 'The Figurhead' ou l'inaugural It doesn´t matter if we all die de 'One Hundred Years') ou des autres ('Pornography'), ne s'accordant qu´un sursis véhément sur les refrains de 'The Hanging Garden'. Et l'album de se clore sur un coup d'éclat : le titre éponyme est un cauchemar éveillé, mêlant expérimentations sonores et ambiances inquiétantes, renforcé par les percussions, la voix spectrale tantôt proche, tantôt lointaine (comme pouvait le faire Joy Division). Lorsque la dernière page se ferme, le lecteur n'a plus que ses yeux pour pleurer. Et les derniers mots ont la saveur d'une étincelle dans un océan de ténèbres : I must fight this sickness... find a cure.
Ultime pierre de la trilogie de la désolation, "Pornography" est aussi son sommet. Un album qui poursuit la quête des deux précédents albums, mais s'en démarque par ses climats violents et froids, comme si le groupe avait voulu se surpasser dans l'horreur. Un album exigeant à ne pas mettre entre les oreilles d'optimistes béats. Après un tel opus, le groupe a failli se saborder : un conflit d'intérêts entre un Robert Smith coutumier du fait et Simon Gallup éloignait temporairement le bassiste du groupe. And then they were two...