Après 33 ans de carrière, on ne peut pas dire que Kate Bush ait derrière elle une discographie pléthorique. Huit albums studios jalonnent son parcours de "The Kick Inside" en 1978 au double "Aerial" en 2005. "Seulement !", serait-on tenté de dire. Aussi est-ce une surprise quand, en cette année 2011, la diva anglaise nous gratifie de deux productions. Certes, "Director’s Cut" n’est que la reprise de titres de "The Sensual World" et "The Red Shoes", mais le travail accompli en profondeur est important. Quant à "50 Words for Snow" à qui cette chronique est consacrée, c’est un authentique nouvel album.
S’il est bien difficile de trouver des défauts aux cinq premiers opus, les suivants offrent plus de prise à la critique, l’inspiration et la fantaisie des débuts faisant parfois cruellement défaut sur des albums devenant par ce fait inégaux. Pourtant, certains traits caractéristiques à Kate Bush se retrouvent sur tous ses disques, quelle que soit la qualité intrinsèque de ceux-ci. La voix, d’abord, cette voix cristalline, puissante, qui monte avec une aisance stupéfiante dans les aigus les plus improbables, cette voix de femme-enfant, mutine, coquine, passionnée et passionnante. Le soin qu’elle apporte à ses productions ensuite, fourmillant de détails et d’instruments exotiques, soin qui la conduit quand le résultat initial ne la satisfait pas à aller jusqu’à réenregistrer les morceaux. L’honnêteté de sa démarche artistique enfin, marque de son grand respect pour son public, toujours portée aux innovations et ne cédant pas au ronron confortable de la routine, quitte à parfois déboussoler ses fans.
Et c’est bien ce qui était arrivé avec un "Aerial" un peu trop apaisé, s’apparentant trop souvent à une musique new age impalpable et plutôt ennuyeuse. "50 Words for Snow" poursuit malheureusement dans la même veine. N’espérez pas un retour de la fantasque interprète des années 70-80 qui a séduit son public à grands coups de mélodies originales et de saillies vocales excentriques. "50 Words for Snow" explore une voie plus atmosphérique et confidentielle.
Toutefois, s’il ne faut pas chercher la Kate Bush des origines, ce disque est loin d’être mauvais ou quelconque. Il est juste… différent. Les titres n’hésitent pas à étaler leur langueur sur une dizaine de minutes, suivant parfois des lignes mélodiques indistinctes. L’orchestration est dépouillée, voire squelettique, se résumant souvent à un piano/voix, le piano égrenant parcimonieusement quelques notes de-ci, de-là. Le résultat peut aussi bien envoûter l’auditeur grâce au charme et à la mélancolie qui se dégagent que l’ennuyer profondément, certaines longueurs se faisant sentir. ‘Snowflake’, ‘Lake Tahoe’ et ‘Misty’ pourraient supporter quelques coupes salutaires. Quant au très répétitif ’50 Words for Snow’, il s’agit d’un exercice de style profondément barbant.
‘Wildman’ est certainement le morceau qui se rapproche le plus de ce à quoi nous avait accoutumés Kate Bush, version ethnique d’un ‘The Sensual World’, dégageant un charme exotique et étrange dû en grande partie aux interventions d’Andy Fairwether Low sur les refrains. Autre invité de marque, Elton John offre la réplique à Kate Bush sur ‘Snowed In At Wheeler Street’. Un titre frustrant car les échanges de ces deux voix magnifiques est forcément beau et poignant, mais les vagues de synthés en arrière-plan tout le long du titre s’avèrent crispantes et le final où les deux chanteurs font dans la surenchère de cris de révolte est plus ridicule que déchirant. ‘Among Angels’ termine l’album sur l’ambiance dépouillée des premiers morceaux dans une mélodie incertaine et mélancolique.
Kate Bush n’a rien perdu de ses capacités vocales, ni de son originalité ou de son inspiration. Simplement, elle a changé de style, s’essayant à des choses plus apaisées, plus intimistes, remplaçant le pop/rock acidulé, fantaisiste et entraînant des débuts par des mélodies atmosphériques nimbées de mélancolie. Une révolution qui peut plaire à un nouveau public comme elle peut perdre en route les anciens fidèles.