Treize ans séparent "Sacred Love" de "57th & 9th", nouvel album de Sting. Entre temps, le Britannique ne se sera pas reposé sur ses lauriers et aura mis à profit ces années pour explorer des voies diverses, notamment avec la sortie de deux albums de musique classique "Songs From The Labyrinth" (2006) et "If On Winter's Night" (2009), puis un concept hommage aux anciens chantiers navals de Newcastle avec "The Last Ship" (2013), le tout entrecoupé par la réunion et la tournée mondiale de Police (2007-2008).
Cette année a touché l'homme en plein cœur avec la disparition d'amis tels que David Bowie, Lemmy Kilmister, Prince... Elle l'aura aussi marqué par les événements dramatiques auxquels personne ne peut rester insensible. Point d'orgue émotionnel, le 12 novembre dernier, Sting a donné le concert de réouverture du Bataclan, 365 jours après l'effroyable attaque emportant 90 vies de passionnés et blessant tant de familles présentes ou non dans la salle. La plaie est encore béante et sera peut-être impossible à cicatriser, mais comme il l'a exprimé lors de cet événement il y a : "deux tâches à concilier : d’abord se souvenir de ceux qui ont perdu la vie dans l’attaque, ensuite célébrer la vie, la musique (dans ce lieu historique)".
Dans ce contexte, Sting a composé et sorti ce nouvel album dont le nom porte celui du croisement de deux rues de New York qu'il empruntait en se rendant aux studios d'enregistrement. C'est sous des intonations exhumant celles de Police que s'ouvre l'album avec le single 'I Can't Stop Thinking About You'. Il y avait bien longtemps que le chanteur n'avait pas proposé un titre aussi enlevé. Cette énergie que l'on pensait révolue émaille également 'Petrol Head' mais aussi '50.000' chanson d'une grande sincérité dédiée à ses confrères et amis disparus trop vite. Malgré ce sursaut, d'autres titres laisseront une impression de déjà-vu restant dans la lignée de ses travaux précédents dans un style pop rock propret ('One Fine Day' ou 'Down Down Down') ou de ballades acoustiques ('Heading South On The Great North Road') aux accents classiques rappelant ses expériences récentes ou bien 'If You Can't Love Me' et 'Empty Chair'.
Sting sait également se faire conteur avec 'Pretty Young Soldier', le titre le plus faible de cette nouvelle offrande par sa trop grande simplicité. Surtout, il demeure un chanteur avec un regard humaniste et engagé sur le monde qui l'entoure lorsqu'il évoque le drame des migrants dans le poignant 'Inshallah' dans lequel il raconte l'histoire d'une famille qui va affronter une traversée à haut risque avec ses doutes et ses espoirs, sur une musique orientale soutenue par les superbes percussions de Rhanni Krija. Le texte est d'une grande pudeur et d'une belle sensibilité. La version Deluxe de l'album contient une seconde mouture de ce titre, plus acoustique, gagnant en émotion et aussi une version live de 'Next To You' de Police, dans un style return to the basic, d'une formidable intensité.
L'équipe qui l'entoure est de qualité avec particulièrement le fidèle Dominic Miller à la guitare qui n'en fait pas des tonnes pour accompagner la basse de Sting qui retrouve son allant d'antan allié à la batterie dynamique de Vinnie Colauita (Frank Zappa, Joe Satriani, Joni Mitchell) dans les titres les plus énergiques décrits précédemment. Sa voix reste reconnaissable entre mille et continue de forger sa légende. Il faut saluer, comme c'est souvent le cas pour l'ensemble de sa discographie, le travail d'orfèvre effectué sur le son, toujours aussi bien équilibré et d'une belle amplitude, aucun instrument ne tirant la couverture à lui.
Avec ce nouvel album, Sting renoue avec son passé grâce à une énergie qu'on ne lui devinait plus. Combinaison de titres enlevés et plus classiques, engagés, sensibles et sincères, cet album est l'un des tous meilleurs de l'artiste qui sait être à l'écoute de la société dans laquelle il vit et de son temps, sans être donneur de leçon, et toujours juste.