Décidément, il y a de quoi s’y perdre ! Après The Neal Morse Band, à ne pas confondre avec Neal Morse malgré plusieurs membres appartenant aux line-up des deux groupes, voici Kaipa Da Capo à ne pas prendre pour Kaipa même s’il s’agit en partie de la formation originelle de ce dernier. Une petite explication s’impose.
En 1975, quatre jeunes Suédois, Roine Stolt (The Flower Kings), Ingemar Bergman, Tomas Eriksson et Hans Lundin sortent un premier disque sous le nom de Kaipa. Après cinq albums entre 1975 et 1982 (à cette date, seul Hans Lundin subsiste de la formation d’origine), le groupe se met en sommeil jusqu’en 2002, Lundin et Stolt décidant de le ressusciter. Depuis, Kaipa a sorti six autres albums, Stolt ayant repris sa liberté depuis "Angling Feelings" (2007), laissant de nouveau seul à la barre Hans Lundin.
Mais, pris par je ne sais quel démon de la nostalgie, Stolt retrouve Ingemar Bergman et Tomas Eriksson pour reformer en 2014 le groupe de 1975 (sans Lundin) auquel il accole le suffixe Da Capo qui, comme tout bon musicien le sait, indique sur une partition que le morceau doit être repris depuis le début. De là à penser qu’il s’agit d’une invitation à reprendre les choses là où elles avaient commencé, il n’y a qu’un pas, et si l’on y ajoute le nom évocateur du label (Foxtrot Records), les adeptes d’un progressif old school peuvent commencer à se frotter les mains.
Et ils auront raison ! Il suffit d’écouter le premier titre, ‘Dårskapens Monotoni’ (ah oui ! tous les titres sont chantés en suédois, qui se révèle une langue aussi chantante que l’anglais) pour s’en convaincre. Les dix minutes de ce morceau passent sans qu’on s’en rende compte, dans une tradition progressive old school, à la fois mélodieuse et variée sans être trop complexe. Le nom de Yes vient immédiatement à l’esprit, une impression qui se répète à plusieurs reprises, sur ‘När Jag Var En Pojk’ par exemple, aux nombreuses cassures et fréquents changements de tempo, sur la longue et passionnante intro de ‘Det Tysta Guldet’, d’un classicisme parfait entre guitares et claviers inventifs et insaisissables, ou encore dans les nappes de claviers qui accompagnent le chant sur ‘Tonerna’. Quant à l’introduction d'arpèges de guitares/nappes d’orgue de ‘Spår Av Vår Tid’, c’est le Genesis de ‘The Fountain of Salmacis’ ("Nursery Cryme") qu’elle évoque infailliblement.
Ne dédaignant pas flirter par moments avec un bon vieux hard rock ou du RPI (rock progressif italien), le chant prenant alors curieusement un grain italien par mimétisme, il se dégage de cet album une impression de facilité tant dans la composition que dans l’interprétation doublée d’une qualité qui ne se dément pas. Le jeu des musiciens est tout en finesse, sans forfanterie, sincère et efficace, avec une mention spéciale pour les nombreux solos de guitare d’une grande délicatesse et d’une virtuosité sans prétention.
Certes, tout n’est pas parfait. Cela manque parfois d’un peu de frissons, ‘Spår Av Vår Tid’ après un début prometteur se transforme en banale petite chanson et ‘Tonerna’ du haut de ses dix-sept minutes souffre de quelques longueurs. Mais cela ne suffit pas à gâcher le plaisir qui se dégage de cet album dont la musique est à la fois apaisante et intelligente, riche d’harmonies et de digressions, jamais inutilement bavarde ou démonstrative, jamais criarde et fatigante, raffinée et recherchée sans être hermétique. Du vrai progressif comme on en fait bien trop rarement.