Jeune artiste canadienne originaire des Indes, Rani Chatoorgoon a sorti deux albums classiques pop/rock juste avant de s'engager dans un projet d'envergure : celui de mêler à ses influences rock qu'elle apprécie telles que Nightwish, Within Temptation, The Cranberries, à la musique traditionnelle de ses origines à la manière de Myrath (dans un autre style) ou de Seven Reizh. Ayant initié une campagne réussie de crowndfunding pour réaliser cet album qui lui tenait à cœur, c'est en cette fin d'année qu'arrive "Samsara" pour réchauffer nos longues soirées hivernales.
Samsara signifie l'ensemble de ce qui circule, la transmigration et symbolise le courant des renaissances successives communément appelées réincarnation, concept propre à la religion hindouiste et aux philosophies tibétaines ou bouddhistes. Il constitue un cycle des vies et des morts qui se suivent sans que l'adepte réussisse à atteindre la libération, une sorte de matrice dans laquelle l'âme est enfermée. Sujet légitime pour Rani Chatoorgoon qui propose ici une musique métissée issue de l'accouplement entre un rock teinté de modernité avec l'ancienneté et la complexité d'instruments de musique traditionnels indiens.
Le pari ambitieux était pourtant au départ loin d'être gagné, car il aurait pu soit s'enfermer dans des clichés qui résument trop souvent cette musique aux atmosphères Bollywoodiennes, ou bien à de longs râga transcendantaux où tabla et sitar s'unissent, voire à l'inverse se résumer en un album simplement pop/rock dans lequel la musique indienne n'aurait fait que de la figuration.
Ainsi, dès 'The Grey' la promesse d'une invitation au voyage et au dépaysement est au rendez-vous, développant des mélopées aux senteurs East Indian qui se retrouveront tout le long de l'album de façon accentuée comme par exemple sur 'Guardian Of Souls' ou 'The Will', ou bien un peu plus effacée comme sur 'Heartbeat' avec ses loops électro, 'Let Me Go' au son plus lourd, ou encore 'Breathe' aux accents hispanisants de la guitare de Ken Basman, sans oublier la très belle ballade 'Unbearable' et le folk délicat de 'Sweet Solace'. Décrire l'album titre par titre serait une hérésie dans laquelle il ne faut pas s'engouffrer, car "Samsara" doit être pris dans son unité. Malgré sa grande recherche musicale exigeante, le projet se livre assez aisément afin de mettre à jour toute sa richesse mélodique au fil des écoutes pour ne plus quitter la tête de celui qui se prête à l'expérience.
Le timbre de voix de Rani Chatoorgoon est sublime et envoûtant, utilisant notamment une technique de chant coutumier chez les chanteuses indiennes par les incantations lointaines présentes en introduction de plusieurs titres, tout en sachant également se mouvoir dans un style plus énergique dans les parties classiques. Principale compositrice (avec le multi instrumentiste Gerry Mosby), elle a su trouver, grâce aux différents invités, l'alchimie entre une guitare électrique, tenue principalement par Ruud Jolie, empruntée à Within Temptation, aux riffs néanmoins binaires et assez communs, sur laquelle des instruments anciens tels que l'harmonium, le sitar, le santoor, les tabla, dholak, santoor, sarangi... tous joués par Sandip Banerjee, viennent se greffer et apporter une coloration exotique à l'album.
Malgré quelques redites, notamment dans l'architecture commune à une majorité de titres, et grâce à une grande générosité, "Samsara" est un appel à l'âme voyageuse de celui qui le recevra et l'écoutera - plutôt au casque les yeux fermés - pour laisser libre court à l'évasion, aux rêves et au mysticisme.