Un navire sur une mer gelée dont la course erratique dessine le signe de l’infini avant de poursuivre son périple vers une destination inconnue. Telle est la pochette du vingtième album de Deep Purple, "Infinite", annoncé comme devant être le dernier du géant britannique avant une tournée mondiale, "The Long Goodbye tour", la dernière elle aussi, refermant la page sur une légende.
Personne n’a oublié qu’après des débuts plutôt psychédélico-classiques, Deep Purple a défini les contours du hard rock aux côtés de Led Zeppelin et Black Sabbath, livrant à la postérité les excellents "In Rock" et "Machine Head", il y a de cela quarante-sept ans déjà. Plus proche de nous, "Now What ?!" sorti en 2013 nous avait démontré que l’âge n’affectait pas le combo, toujours capable de faire preuve d’une belle énergie et de créativité.
Et ce n’est pas quatre ans de plus qui vont amoindrir ces belles dispositions. Au contraire, là où "Now what ?!" pouvait être boudé par les hard-rockers purs et durs, faisant la fine bouche sur des mélodies peut-être un peu trop mid-tempo à leur goût, "Infinite" devrait se les concilier grâce à un rythme trépidant qui ne ralentit que sur peu de morceaux.
L’album démarre pied au plancher avec ‘Time for Bedlam’ qui, après une courte entame sous forme de prière débitée par une voix trafiquée (qui ferme également le titre et n’est là que pour faire peur aux fans de "mélodies binaires qui tapent dur"), annonce la couleur : batterie survoltée, basse galopante, traits véloces de la guitare et débauche d’orgue Hammond saturé semblant exploser de toutes parts.
Une introduction vitaminée et réjouissante lançant l’album sur un rythme soutenu que le groupe conserve jusqu’à ‘Get Me Outta Here’ inclus. Après ‘The Surprising’, un titre qui porte bien son nom, mélangeant sonorités western et orientales dans des mélodies sombres ou cristallines flirtant avec le classique dans une approche très progressive, le rythme se calme un peu, délaissant presque son côté hard pour ne conserver que celui rock mid tempo (‘Johnny's Band’, ‘Birds of Prey’), voire blues sur la reprise des Doors qui clôt curieusement l’album si celui-ci est bien le dernier. A moins qu’il ne faille voir là une forme d’hommage du groupe à ses origines. Seul ‘On Top of the World’ revient à un hard rock lourd, évoquant même un certain ‘Smoke on the Water’, mais se termine sur une bizarre litanie ressemblant fort au ‘Notre Père’ avant de finir en queue de poisson par un rapide fading out peu inspiré.
Deep Purple démontre une fois de plus sa capacité à faire du hard rock autre chose qu’une musique sur laquelle on danse en secouant mécaniquement la tête à s’en étourdir. Certes, l’envie de s’agiter en rythme est bien là, mais le groupe n’oublie pas pour autant d’ajouter quelques fioritures originales de son cru, quelques lignes mélodiques inattendues qui rajoutent du piment, alliant force et finesse, classicisme et originalité.
La paire Glover/Paice n’a plus rien à prouver en termes d’efficacité, de puissance et de précision. Chaque titre contient son double solo guitare/claviers, le plus souvent échevelé et impressionnant de technique. Dire que Steve Morse et Don Airey font oublier Blackmore et Lord serait exagéré, mais leur prestation de haut niveau n’a pas à rougir de celle de leurs prédécesseurs. Quant à Ian Gillan, si son chant n’atteint plus les aigus de sa jeunesse, il conserve intacts sa vigueur et son charisme. Plutôt que de gueuler pour masquer une quelconque insuffisance, le chanteur affirme sereinement sa maturité, rendant particulièrement agréable et convaincante sa prestation.
La production au cordeau de Bob Ezrin conserve un parfait équilibre entre les cinq protagonistes, restituant toute la puissance des titres sans donner l’impression de capharnaüm sonore comme c’est souvent le cas lorsqu’on a droit à une débauche de décibels. Ici, l’auditeur peut indifféremment suivre chaque membre isolément ou écouter l’ensemble avec autant de plaisir.
"Infinite" fait partie de ces albums qui rappellent qu’à l’origine le hard rock était le petit frère turbulent du progressif. Deep Purple y fait preuve d’une énergie que bien des jeunes formations pourraient lui envier et d’un sens des compositions vigoureuses qui n'oublient pas d'être intelligentes.