Si jusqu'à présent, il avait su se renouveler en douceur, par petites touches pointillistes, gommant peu à peu ses atours les plus extrêmes dont il restait cependant toujours quelques oripeaux, notamment à travers la voix death du guitariste Tomi Koivusaari, Armorphis achève en revanche brutalement sa mue avec ce "Tuonela", qui marque un changement radical dans son style qui, s'il a toujours été mélodique, davantage en tout cas que celui d'autres formations finlandaises pataugeant elles-aussi dans les viscères, n'avait encore jamais affiché des traits aussi lisses sinon accessibles.
L'abandon total des growls - sauf le temps d'un 'Greed' que nimbent toutefois des notes de claviers antédiluviens et dans une moindre mesure d'un 'Divinity' aux grosses voix plus parcimonieuses - au profit du seul chant clair qu'assure un Pasi Koskinen, confirmé comme l'unique vocaliste du groupe, témoigne de cette évolution qui, si elle ne fera pas que des heureux dans les rangs de ses admirateurs, lui permettra de toucher un public plus large, suivant en cela le même glissement que Tiamat ou Paradise Lost, dans des genres différents.
De fait et nonobstant l'empreinte reconnaissable entre mille de Esa Holopainen, c'est presque un nouveau groupe qui se dévoile par l'entremise de ce quatrième album. Il ne reste donc définitivement plus rien du death doom originel et même les touches folkloriques qui coulaient dans les veines de "Tales From The Thousand Lakes" et "Elegy" ont presque disparu. A peine en décèle-t-on quelques réminiscences sur un 'Withered' entraînant, auxquelles les Finlandais préfèrent désormais des effluves psychédéliques ('Shining'), prouvant que leurs vraies racines étaient en réalité à chercher dans le (hard) rock progressif des années 70 ('Rusty Moon' et sa flûte virevoltante).
Cela fait-il pour autant de "Tuonela" un mauvais disque ? Bien au contraire car, avec ce sens de l'accroche qui fait mouche, toujours aussi imparable, Amorphis se fend selon son habitude d'une poignée de compositions toutes plus délicieuses les unes que les autres. Mieux, après un "Elegy" aux allures de transition, cet opus se révèle plus homogène, le futur chanteur de Shape Of Despair s'y montre plus à son aise dans un registre très rock, simple et direct mais ô combien enchanteur à l'image des 'The Way', 'Morning Star', 'Nightfall' hanté par la présence d'un surprenant saxophone, ou le terminal 'Summer's End', autant de pièces d'orfèvre qu'une sourde mélancolie recouvre de son suaire automnal.
"Am Universum" et plus encore "Far From The Sun" ne confirmeront pas seulement cette direction musicale, ils ne feront que l'amplifier, au grand désarroi des ayatollahs de la première heure qui ne comprennent pas qu'un groupe peut légitiment avoir envie d'évoluer. Dès lors que la musique conserve sa valeur, qu'importe le changement, d'autant plus que les Finlandais, fidèles à d'immuables standards de qualité, ont su maintenir une égale inspiration au fil du temps...