C'est à Reykjavik que se forme Sigur Rós en 1994. Le nom du groupe est inspiré du prénom de la grand-mère de Jón Pór Birgisson (surnommé Jónsi), mais n'a aucune signification en islandais. Comme de nombreux artistes en provenance de cette île septentrionale, le trio fait déjà preuve d'une grande originalité et tente de nombreuses expérimentations sur lesquelles nous reviendrons. Cette approche artistique oblige le groupe à prolonger son séjour en studio et il se dit qu'il a fallu que ses membres réalisent quelques peintures pour financer le temps supplémentaire nécessaire à l'enregistrement de ce premier opus. Celui-ci est intitulé "Von", ce qui signifie "espoir" dans la langue maternelle de Sigur Rós qui manie également le vonlenska, dialogue de sa propre invention. C'est en 1997 que sort cet album dont la pochette représente la sœur de Jónsi lorsqu'elle était bébé.
Avec ses presque 10 minutes de bruitages dont surgissent parfois quelques lointains hurlements aussi lugubres qu'inquiétants, 'Sigur Rós' n'est pas une entrée en matière particulièrement accessible. Pourtant, il a le mérite de mettre directement l'auditeur dans le bain car les expérimentations ne seront pas rares par la suite et nombreux seront ceux qui risquent de s'en retrouver désorientés. Difficile d'entrer dans un 'Leit Að Lífi', dans la rythmique tribale et répétitive de 'Veröld Ný Og Óð', ou dans les bruitages de clochettes et autres percussions métalliques de 'Mistur'. Et que dire des 18 secondes de silence de '18 Sekúndur Fyrir Sólarupprás' dont le titre signifie '18 secondes avant le lever du soleil', ou d'un 'Rukrym' qui vient clôturer l'album avec 6 minutes 15 de silence enchaînées à une partie de 'Myrkur' jouée à l'envers ?
Pourtant, les plus curieux et aventureux seront récompensés de leurs efforts en découvrant une approche abandonnant parfois les bruitages pour des ambiances plus éthérées et aériennes, portées par la voix de falsetto de Jónsi ('Dögun'). Sigur Rós peut même faire preuve de mélodie, comme sur l'envoûtant 'Hún Jörð...' se réappropriant le Notre Père pour le transformer en prière à la Mère Nature. Contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, 'Myrkur' ("ténèbres" en islandais) se révèle probablement comme le titre le plus lumineux et le plus rythmé. Une basse toute en rondeur, une batterie dynamique et un chant aérien permettent à ce titre d'élever l'auditeur comme il en aura rarement l'occasion avant 'Syndir Guðs (Opinberun Frelsarans)'. Bien que plus atmosphérique et océanique, ce dernier sera la dernière occasion de profiter d'une mélodie agréable et envoûtante. Hésitant entre ces deux approches, 'Hafssól' glisse quelques passages de chant éthéré au milieu de plus de 12 minutes aériennes et bruitistes. Quant au titre éponyme, il est l'occasion pour le groupe de chanter en vonlenska pour la première fois. Il est d'ailleurs à noter que ces deux titres feront plus tard l'objet d'un réenregistrement avec des arrangements différents les rendant plus accessibles.
Bien que dévoilant de nombreuses richesses et une identité déjà très affirmée, cet opus n'en reste pas moins une entrée complexe dans le monde pour le moins original des Islandais. Les mélodies finissent par disparaître derrière des expérimentations encore mal maîtrisées et s'étirant sur de trop longues durées pour garder l'attention captive. Malgré ces défauts de jeunesse, "Von" réussit cependant à extraire l'auditeur du temps présent pour l'emmener dans un monde imaginaire dans lequel les émotions se font multiples et étonnantes. Vendu à seulement 313 exemplaires durant l'année suivant sa sortie, cet opus profitera du succès d'un "Ágaetis Byrjun" bien plus abouti pour voir ces chiffres s'envoler. À découvrir pour mieux comprendre la suite de la discographie du groupe.