Le printemps de Prague a été gelé par les tanks soviétiques. Un nouvel appareil communiste impose une norme répressive. Si certains tentent d'alerter les médias face à ce fléau (le martyr Jan Palach), d'autres comme The Plastic People Of The Universe (qui tire une partie de son nom de la première chanson d' 'Absolutely Free' de Frank Zappa) décident de poursuivre la lutte, sans se dissimuler. Grands amateurs de musique américaine (évidemment Frank Zappa, The Velvet Underground...), les Praguois vont se livrer à un jeu de chassé-croisé avec le pouvoir. Avec l'aide du poète iconoclaste Egon Bondy, The Plastic People Of The Universe sortent leur premier album "Egon Bondy´s Happy Hearts Club Banned" en 1975 (il paraîtra en France en 1978). Nous chroniquons ici le premier pressage de l'album sur support CD de 1992.
Si le titre fait référence à un célèbre album de The Beatles, le contenu en diffère assez radicalement. L'ambiance est aussi gaie qu'un cercueil dans un jardin d'enfant. Un monde froid, grinçant et inquiétant s'éveille à l'auditeur.
La plupart des morceaux privilégient une atmosphère lancinante parfois proche du free jazz dans laquelle un ou plusieurs instruments sont mis en valeur ('Toxika' avec le violon puis le saxophone), mais qui est sans cesse menacée par des échappées en solitaire progressives ('Magicke Noci', la brève 'Ranni Ptace' et ses fausses conclusions) conduisant à un crescendo (sur 'Toxika', la montée en puissance nous invite à un solo de guitare déglinguée). Le groupe annonce ainsi en avance les compositions affolées du Rock In Opposition.
Autour de la basse pesante de Milan Hlavsa, gravitent la guitare fatale de Josef Janíček ('Toxika'), les batteries martiales de Jaroslav Vožniak ('Magicke Noci'), le saxophone démentiel de Vratislav Babenec ('Okolo Okna', 'Zacpa') et le violon funèbre Jiří Kabeš ('Zacpa', 'Elegie'). Le son étrange de la thérémine de Zdeněk Fišer ajoute une aura surnaturelle à l'ensemble déjà fortement tourmenté ('Magicke Noci' ou son solo tétanisant sur 'Toxika'). Les voix graves dans une langue peu familière sur '20' ou 'Magicke Novi' ajoutent une dose de poison supplémentaire, à l'exception de 'Jo To Se Ti To Spi', ou 'MGM' (on peut entendre le rugissement du fameux lion) qui renouent avec les blagues potaches de Frank Zappa.
Les paroles provocantes, invitent à lire entre les lignes une critique du pouvoir en place : '20' évoque le futur réjouissant des jeunes : vomir leur dégoût et mourir de la sclérose à 60 ans, 'Toxika' et 'Jo To Se Ti To Spi', évoquent une bonne couche après une beuverie, tandis que 'Zacpa' parle d'une constipation intérieure...
À force de provoquer les autorités, les musiciens ont fini par goûter aux joies peu reluisantes d´une geôle (cet emprisonnement arbitraire sera à l´origine du Manifeste de la Charte 1977, écrite par le futur président Vaclav Havel, visant à protéger la liberté d´expression). Avec ''Egon Bondy's Happy Hearts Club Banned'', The Plastic People Of The Universe apporte de l'eau au moulin de ceux qui pensent que la musique peut être aussi efficace qu'un Sa vz. 58 (*).
(*) Fusil d'assaut tchécoslovaque (NdT)