Douze années se sont écoulées depuis la sortie du mitigé "The Red Shoes", à tel point que l'on se demandait si la discrète Kate Bush ne s'était pas retirée du monde de la musique, lorsque paraît "Aerial" en 2005. Et comme pour se faire pardonner d'une si longue absence, notre artiste se fend carrément d'un double album, séparé en deux parties bien distinctes.
Intitulé "The Sea of Honey", le premier disque présente une collection de chansons variées, tant dans le propos que dans le style, avec toujours cette originalité qui colle à la peau de Kate Bush depuis ses débuts. On passe ainsi de 'King of the Mountain' (en hommage à Elvis Presley), excellent titre aux aspects quasi-progressifs lorgnant du côté de Peter Gabriel, à 'Pi' où la chanteuse égrène les décimales de la constante durant une bonne partie du morceau, avec un accompagnement plutôt répétitif, puis à un 'Bertie' très intime (dédié à son fils) servi avec un orchestre de chambre, avant de suivre 'Mrs Bartolozzi' dans une partie de ménage surprenante, en s'attardant notamment sur sa machine à laver. Point ici de véritable single (mais l'heure n'est sans doute plus à cela), et si les cordes vocales de Kate Bush restent affutées et ses accompagnements toujours aussi subtils, il manque une véritable étincelle pour faire décoller l'ensemble.
Le glissement vers une évolution musicale à la Talk Talk, passant de la pop à une symphonie étrange aux mélodies faites de quelques bribes de notes, va se confirmer avec le deuxième CD. Intitulé "The Sky of Honey", celui-ci représente une suite conceptuelle dont le thème reste plutôt vague, et va permettre à l'artiste de planter un climax particulier très prenant et qui, malgré quelques longueurs, va entraîner l'auditeur dans un étrange voyage, ponctué de nappes de claviers (dont quelques séquences d'orgue Hammond tenu par Gary Brooke – Procol Harum) et de chants d'oiseaux (à noter à ce sujet que l'artwork qui illustre "Aerial" présente notamment l'onde d'un chant de merle !)
Après un 'Prologue' en forme de longue mélopée à la mélodie minimaliste, puis un 'An Architect's Dream' plus enjoué, 'Sunset' installe une ambiance club de jazz, avec un formidable trio piano/voix/contrebasse rempli d'émotions, se résolvant par un final aux contours folkloriques. Les arrangements fourmillent de détails, cassant ainsi l'aspect répétitif de certains passages. A l'opposé de ces morceaux limite évanescents, Kate Bush conclut cette suite par deux longues compositions complètement atypiques en ce qui la concerne. C'est tout d'abord 'Nocturne' qui déroule un gimmick et une rythmique répétitifs, pour une lente montée en puissance dont la résolution se fait par la grâce d''Aerial', qui poursuit dans la même veine avant de laisser la place à un final de guitares saturées ponctué de rires. L'ensemble est particulièrement prenant, pour ne pas dire hypnotique.
Plus qu'un disque atypique dans la discographie de Kate Bush, "Aerial" représente un véritable pivot dans la carrière de l'artiste, et voit celle-ci glisser vers un style nettement moins accessible que par le passé, les perles pop des débuts laissant place à des ambiances vaporeuses et envoûtantes. Changement de direction confirmé par la suite avec la publication quelques années plus tard de "50 Words for Snow", aboutissement de la démarche initiée avec cet album aussi attachant que mystérieux.