On avait laissé Threshold au bord du chemin après "For The Journey", œuvre qui au fil du temps a perdu de sa superbe et s'est muée en promenade de santé. En effet, Damian Wilson y apportait une orientation presque pop et nécessairement moins metal. Ainsi, peut-être à juste titre, le groupe a-t-il remplacé son chanteur par un ex Threshold : Glynn Morgan présent sur "Psychedelicatessen".
Avec cette nouvelle production, les Britanniques jettent un pavé dans la mare métallique et ajoutent une nouvelle pierre monumentale qui nous conforte dans la quête d'une essence musicale pure. "Legends of The Sires", concept de plus d'une heure trente, repose sur un thème fédérateur : comment une nation ou une personne peut-elle trouver sa place dans le vaste monde ? Tout est mis en œuvre pour proposer un album à la fois direct qui percute dès les premiers instants, mais recèle une myriade de variations, d'idées et de petits bonheurs intimes. En effet, même si la formation a toujours privilégié des titres metal et des riffs ultra carrés, elle les parsème d'une multitude de mesures impaires et de changements de signature.
Threshold c'est aussi un son unique qui est identifiable dès les premières secondes : la guitare solitaire aux mélodies étourdissantes, les soli rapides et techniques, la basse qui ronfle comme un ivrogne, la batterie carrée mais pleine de variations et de feeling et les synthétiseurs aux sonorités actuelles. Ainsi, même avec ce changement de frontman, le groupe demeure tel qu'il était et fait ce qu'il sait faire de mieux et de plus beau. Cerise sur le gâteau, cette beauté est exhaussée par une production limpide et puissante et un art de la composition, du contrepoint, des mélodies et des césures proprement hallucinant.
Dès les premiers instants ('The Shire (Part 1)') la mélodie d'une six-cordes dépouillée nous titille les esgourdes. Ces petites phrases sont dès lors le leitmotiv qui guidera notre aventure musicale, disséminées comme des points d'ancrage lors de ce voyage musical. Puis la guitare épaisse, chaude et précise, gronde et cisaille les mesures tel un scalpel, alors que la voix entonne une ode charmante et se fond dans ce décor avec une aisance redoutable ('Small Dar Lines'). Nous reconnaissons d'emblée le point fort de la bande : savoir intégrer les synthétiseurs désincarnés, sans qu'ils ne soient jamais ni trop en retrait, ni trop présents, mais toujours justes. Par ailleurs ce premier refrain est bluffant, car ces messieurs possèdent un réel talent pour diffuser des mélodies qui se reprennent immédiatement à tue-tête.
Débutant par les propos robotiques et désincarnés, 'The Man Who Saw Through Time' est une fausse ballade apaisée. Bien qu'elle débute avec un piano intimiste qui nous invite à rêver, elle se change rapidement en tour de force musical grâce notamment à la mélodie qui prend aux tripes : une beauté renversante et angélique, un goût de jardin d'Eden.
Nous avons ensuite notre lot de compostions qui arpentent des territoires balisés ('Trust The Process'), mais avec cette voix puissante, elles sautent à nouveau dans le style caractéristique du groupe que l'on adule. Enfin, le désormais très connu 'Lost In Translation' impose un consensus, une synthèse des éléments de cette nouvelle (?) génération de la formation : guitare émouvante aux harmonies étourdissantes et aux riffs faussement simples, voix entre puissance brute et charme discret et claviers caverneux, chauds ou froids, qui remplissent l'espace.
Ainsi, après un album sympathique qui était plus progressif que metal, les Anglais reviennent aux bases posées avec "Hypothetical" ou "Critical Mass". La formation a gagné en puissance et a enfin retrouvé son identité si particulière. Du haut de son heure et demie, le concept nous accompagne en quête d'absolu musical, se traduisant par des moments lumineux, par des étourdissements qui étirent le temps et laissent des traces indélébiles. "Legends of The Shire" est d'ores et déjà l'un des plus beaux albums de l'année.