"Once More 'Round The Sun", avec ses formats directs et ses inspirations contrôlées, nous était apparu comme une étape intermédiaire dans l'évolution de Mastodon. L'impatience de connaître la direction prise par les Américains est récompensée par la sortie de leur septième album "Emperor Of Sand". Tout au long des onze morceaux de l'album on suit le cheminement d'un vagabond condamné à errer en plein désert et soumis à l'étrange souverain des sables qui illustre la pochette du disque. Cette allégorie permet aux membres de Mastodon d'aborder les questions du temps, de la mort et de la survie à la maladie qui leur ont été inspirées par les épreuves vécues par certains membres de leur famille et amis atteints de cancer.
Le début de "Emperor Of Sand" installe une continuité logique avec l'écriture ramassée du Mastodon des deux derniers albums avec un 'Sultan's Curse' taillé dans le granit, 'Show Yourself', que n’aurait pas renié un Queens Of The Stone Age, sous forme de doigt d'honneur à la mort (la vidéo du titre vaut le coup d'œil) et le rapide 'Precious Stones' aux refrains entêtants et très travaillés. Tous les éléments qui font les fondements du style unique de la bande originaire d'Atlanta sont déjà présents, dans la puissance des riffs, la débauche rythmique et l'entrecroisement de chants. S'y ajoutent deux constantes tout au long du disque, une recherche mélodique dans les refrains et une maîtrise vocale de plus en plus nuancée de la part des trois chanteurs. Si les premières thématiques abordées traitent de la surprise, de la révolte et de la mort, musicalement cette introduction n'a pas encore totalement fait pénétrer l'auditeur dans l'ambiance si particulière de l'histoire qui nourrit cette œuvre. ‘Steambreather’ assume la fonction de porte d’entrée dans l’intrigue de "Emperor Of Sand" par ses composantes noires et progressives.
Changement d’atmosphère radical à l’orée de ‘Steambreather’ qui, par la dureté de ses riffs et la pesanteur de ses rythmes, charge le climat d’une lourdeur palpable et inaugure le basculement dans l’obscur cœur de l’album. Mastodon renoue avec l’art de son metal progressif à travers ce morceau à la structure évolutive dont les changements de cadence et les contrastes harmoniques pourvoient à sa forte densité. Progressant vers toujours plus d’intensité et de complexité harmonique c’est la dimension épique, presque cinématographique, de "Emperor Of Sand" qui se découvre. Les compositions se font plus étranges (‘Roots Remain’ aux tournures opethiennes), tour à tour hypnotiques (‘Andromeda’) et filmiques (‘Clandestiny’ ses sonorités vintage de Moog et de films d’horreur indépendants des années 80, ‘Scorpion Breath’), et les chants se déchirent entre éloquences glaçantes (‘Roots Remain’, les interventions de Scott Kelly dans ‘Scorpion Breath’) et efficience mélodique dans les vocaux agrémentés de chœurs (‘Andromeda’, 'Word To The Wise'). Les reliefs émotionnels se manifestent en même temps que la charge de solennité augmente (les cloches qui sonnent le glas funèbre dans ‘Roots Remain’ et ‘Ancient Kingdom’, ‘Jaguar God’) pour parvenir à la synthèse cathartique et jubilatoire finale du chef-d'œuvre 'Jaguar God'.
Avec "Emperor Of Sand", Mastodon renoue avec la tradition conceptuelle qui l'a mené jusqu'au définitif "Crack The Skye". Ce retour à une écriture épique et progressive, sous la houlette de Brendan O'Brien qui avait produit "Crack The Skye", s'accommode de la nécessité d'urgence que Mastodon a extériorisée dans les compositions plus directes des deux derniers albums du groupe. En définitive, avec "Emperor Of Sand" Mastodon refuse de trancher entre ses multiples personnalités, il les exprime toutes.