Quand Casey Crescenzo se lance dans le concept-album, il ne fait pas les choses à moitié. Là où la plupart des groupes se "limitent" au story-album, dans lequel la musique s’appuie sur une histoire pour donner une cohérence - ce que The Dear Hunter a magnifiquement réussi dans les "Actes" -, lui part du principe inverse : décomposer la musique en facteurs premiers, déconstruire le résultat musical proposé jusque là pour trouver d’autres couleurs. Et pour asseoir ce concept, le décliner en un opus de 9 EP d’une petite vingtaine de minutes portant le nom des sept couleurs du spectre chromatique, plus le noir et le blanc pour avoir la palette complète. Les exégètes de la musique progressive pourront oser un parallèle avec la couverture de "The Dark Side of the Moon", où un prisme décomposait sur fond noir la lumière blanche en toutes les couleurs de l’arc-en-ciel…
Le concept est pour le moins éminemment ambitieux. Et il est légitime de se demander comment ce diable de Casey va tenir son pari. C’est que notre homme a sacrément bien pensé son affaire : en premier lieu, chaque EP a effectivement une couleur musicale particulière : l’electro post-rock pour "Black", le hard rock mélodique pour "Red", le rock 70’s - 80’s pour "Orange", la pop classique pour "Yellow", l’acoustique intimiste pour "Green", l’atmosphérique soft intimiste pour "Blue", l’electro ambient pour "Indigo", le cabaret à tendance symphonique pour "Violet". Quant à "White", c’est la somme de toutes les couleurs, l’EP qui se rapproche le plus de la musique du Dear Hunter des "Actes", un indie rock agrémenté de teintes orchestrales. Bien joué !
Pour donner une tonalité particulière à chacun de ces EP, Casey Crescenzo a choisi de mettre des pupitres ou des ambiances en avant : ainsi les percussions et programmations sont en vedettes dans "Black", les guitares rythmiques dans "Red", la guitare solo sur "Orange", les chœurs sur "Yellow", la guitare acoustique sur "Green", le côté atmosphérique sur "Blue", les claviers sur "Indigo", les couleurs symphoniques sur "Violet", et l’ensemble de tout cela sur "White".
Ce brillant exercice de style a parfois ses limites : tantôt il produit de belles choses, comme le très réussi 'Never Forgive, Never Forget' ("Black") à l’agressivité inaccoutumée chez Dear Hunter, l’excellent solo de guitare de 'A Sea of Solid Earth' ("Orange"), le 'Mandala' ("Indigo") dans lequel The Dear Hunter déploie toute son envergure, ou 'Fall and Flee' ("White") avec son joli thème vocal sur le refrain. Tantôt l'exercice se retrouve à l’étroit dans ses contraintes : "Blue", à force d’être intimiste dérape dans la somnolence, "Green" est assez creux et la plupart des titres de "Yellow" sonnent gentillet, sans plus.
Il n’en reste pas moins que dans sa version complète, "The Colour Spectrum" intéressera les fans de Casey Crescenzo, car il est le témoin de ses recherches pour pousser plus loin l’aventure Dear Hunter, qui trouve son aboutissement dans les "Actes". Pour les autres, ce gros pavé de presque 2h30 paraîtra un peu long à l’écoute, même s’il recèle des moments plus qu’honorables. Il existe une version CD chroniquée dans nos colonnes, qui n’est qu’une compilation (à la sélection de titres discutable, comme toutes les compils), plus abordable mais représentant assez mal un concept plutôt stimulant.