Je ferais décidément un bien mauvais prophète ! Cela fait 40 ans que je m’obstine à vouloir enterrer Procol Harum qui semble prendre un malin plaisir à ressusciter périodiquement, probablement juste pour me voir embarrassé. Après la séparation du groupe en 1977, les parutions de "The Prodigal Stranger" en 1991 puis de "The Well’s On Fire" en 2004 avaient été de bonnes surprises. Il faut croire que la gestation d’un album chez Procol Harum dure treize ans puisque nous arrive en cette année 2017 une nouvelle résurrection baptisée "Novum".
L’album sort pour fêter le cinquantenaire du groupe. En guise de madeleine de Proust, la pochette représentant une jeune femme élancée, crinière au vent, est une version en clair de celle qui ornait sur fond noir la pochette du premier album, "Procol Harum (A Whiter Shade of Pale)" en 1967. Si la tradition semble respectée sur le plan visuel, quelques bouleversements importants ont cependant eu lieu. Exit Matthew Fischer dont l’orgue Hammond restera éternellement lié à ‘A Whiter Shade of Pale’ et Keith Reid, le fidèle parolier de toujours, remplacés respectivement Josh Phillips et Pete Brown. Plus surprenant encore, Gary Brooker qui était jusqu’alors le principal compositeur du groupe a décidé que ce nouvel album ferait l’objet d’une écriture collégiale, la contribution de Josh Phillips s’avérant néanmoins la plus importante.
Non seulement cette décision n’influe pas sur le son du groupe, mais le disque sonne plus Procol Harum que les deux albums précédents. Dès le titre d’introduction, l’auditeur se retrouve en pays connu et l’impression ne le lâchera plus jusqu’à la fin. Bien sûr, la voix caractéristique de Gary Brooker contribue largement à cette sensation, une voix qui, contrairement à nombre de ses collègues, semble insensible au temps qui passe. Probablement est-ce dû à ce timbre si original, à la fois grave et nasal, toujours est-il que la voix est intacte, profonde, chaude, puissante.
Mais les compositions en elles-mêmes portent les marqueurs du son Procol Harum : rocks mid-tempos chaloupés, alliance des délicates volutes du piano et des riffs et solos d’une guitare en verve, le tout soutenu par une rythmique impeccable et rehaussé des enluminures de l’orgue Hammond. Si la plupart des titres se partagent entre rocks bien carrés (‘I Told On You’, ‘Image of the Beast’, ‘Businessman’), ballades bluesy (‘Last Chance Motel ‘) et mélodies country (‘Soldier’), le groupe n’omet pas le passage obligé par la case classique en revisitant à sa manière le Canon de Pachelbel (‘Sunday Morning’, un titre qui plaira aux amateurs de ‘A Whiter Shade of Pale’, ‘A Salty Dog’ ou ‘Grand Hotel’), ni de diversifier les ambiances avec l’amusant ‘Neighbour’, son orgue de cirque et ses chœurs malicieux.
L’album se termine en apothéose avec la juxtaposition contrastée de l’excellent hard rock ‘Can't Say That’ rappelant le meilleur de Deep Purple et de la mélancolique ballade ‘The Only One’ qui à elle seule justifie l‘achat de ce disque. ‘Somewhen’, piano/voix aux intonations presque religieuses, conclut par une note de douceur un album bourré d’énergie.
Si les deux opus précédents avaient quelques titres rappelant le grand Procol Harum au milieu de titres ordinaires, "Novum" ressemble à un grand cru où ne s’égarent que de rares compositions médiocres. Je ne me rendrai pas de nouveau ridicule en prédisant une fois de plus qu’il s’agit là du dernier album de Procol Harum et préfère leur dire : "rendez-vous en 2030" !