Nous avions laissé Nickelback en 2014 avec un "No Fixed Address" qui n'hésitait pas à prendre certains risques en proposant quelques évolutions artistiques. Si les réserves des critiques avaient été balayées par une adhésion du public et des ventes massives (4ème au Billboard 200), ce tableau idyllique s'était retrouvé assombri par l'annulation de la quasi-totalité des dates de la tournée qui devait suivre. En effet, Chad Kroeger avait dû être opéré d'un kyste aux cordes vocales et il était inimaginable que le quatuor puisse se produire sur scène sans son leader charismatique. Trois ans plus tard, les Canadiens sont de retour avec un nouvel opus, toujours coproduit avec Chris Baseford (Rob Zombie, Shinedown, Slash...) et intitulé "Feed The Machine".
Avec le titre éponyme qui ouvre les hostilités, Nickelback et Chad Kroeger rassurent aussi bien les fans que les critiques. Énergique et mélodique, ce titre, choisi pour être le premier single, se révèle à la fois crépusculaire et désenchanté. La retenue des couplets alterne avec la puissance du refrain pour un ensemble aux limites du hard-rock, du neo-grunge et du metal alternatif. Le chant est impeccable et ne laisse apparaître aucune séquelle de l'opération, tandis que quelques légers éléments électro viennent se marier avec le gros riff des guitares qu'ils renforcent. Parfait équilibre entre l'identité forgée par le groupe depuis ses débuts et les évolutions apparues lors du précédent album, ce titre fait preuve d'une accroche sans faille tout en maintenant la mélodie en première ligne. Loin de se limiter à ce seul titre, Nickelback enfonce le clou avec 'Coin For The Ferryman' qui enchaîne avec son refrain agressif, sa rythmique claquante et ses passages saccadés et épileptiques.
La suite offre quelques moments plus classiques, en particulier avec les fameuses ballades à la marque de fabrique incontournable mais à l'accroche toujours aussi efficace ('Song Of Fire', 'After The Rain'), ou le mid-tempo 'Home' aux réminiscences de 'How You Remind Me' ("Silver Side Up" - 2001). Le final voit l'intensité baisser par paliers et avec maîtrise, enchaînant un 'Silent Majority' plus pop-rock musclée, suivi de la power-ballade électro-acoustique et lumineuse 'Every Time We're Together', et se clôturant avec la surprenante ballade instrumentale et acoustique 'The Betrayal (Part I)' dont la douceur se voit colorée par une légère touche de mélancolie. Mais avant ça, le gang des frères Kroeger aura balancé quelques rafales de gros calibre avec un 'Must Be Nice' catchy et groovy aux couplets scandés, un 'For The River' puissant et saccadé doté d'un superbe solo, et surtout d'un 'The Betrayal (Part. III)' dont la colère explose avec une violence rare sur son refrain et dont certains éléments rappellent le plus cinglant des power-metal.
Une fois de plus, Nickelback va sans aucun doute vendre des wagons de son nouvel opus. Comme d'habitude, cet album n'échappera pas aux querelles que l'identité protéiforme du groupe provoque en naviguant entre plusieurs territoires au grand désespoir des intégristes en tous genres. Pourtant, avec un minimum d'objectivité, il sera aisé de reconnaître que les Canadiens ont encore franchi un palier en continuant leur mutation sans défigurer leur identité faite de ce mélange unique d'énergie et de mélodie, de puissance et de mélancolie, de colère et d'espoir.