Quatrième album studio de la discographie d’Elton John, "Madman Across The Water” bénéficie d’une pochette particulièrement sobre… et laide. Sur fond bleu jean se détachent en gros caractères le titre du disque et le nom de l’interprète semblant avoir été tracés vite fait avec une version démo de Wordart. Un graphisme qui n’incite guère à en écouter le contenu pourtant fort intéressant.
Car point de concept fumeux pour ce nouvel album qui possède sur son prédécesseur une entrée en matière bien plus convaincante. S’il fallait attendre le troisième titre de "Tumbleweed Connection" pour enfin entendre une mélodie un tant soit peu séduisante, les choses sérieuses commencent dès ‘Tiny Dancer’ dont l’introduction contient à elle seule plus de piano que tout l’album précédent. La bonne impression laissée par ce premier morceau est renforcée à l’écoute du second, ‘Levon’, choisi comme single.
La première face du vinyle confirme le retour en force du piano et de l’orchestre, et celui de mélodies moins "américaines", plus mélancoliques, dans un style proche de celui de "Elton John". Hormis le fade ‘Razor Face’, les trois autres titres sont des compositions ambitieuses, plus complexes qu’une simple chanson couplet/refrain, développant plusieurs thèmes dans lesquels l’orchestre joue parfois un rôle prépondérant, comme lors du pont instrumental de ‘Madman Across The Water’, se mêlant ailleurs de façon particulièrement équilibrée avec les instruments électriques.
La seconde face renoue avec la thématique américaine de "Tumbleweed Connection", commençant de fort belle manière par un ‘Indian Sunset’ poignant, débutant sur un rythme de danse indienne avant d’évoluer en quelque chose de plus européen. Malheureusement, les choses se gâtent avec le quelconque ‘Holiday Inn’, titre de folk-country porté par des guitares acoustiques et une mandoline sonnant comme un banjo, ‘Rotten Peaches’, compromis entre la veine mélancolique (piano) et la tendance US (guitare slide, chœurs hésitant entre gospel et grande variété américaine), qui traîne en longueur après un bon début, et ‘All the Nasties’ au blues final semblant chanté par un chœur d’esclaves dans un champ de coton et dont le ‘oh my soul’ répété ad libitum et surtout ad nauseam s’avère particulièrement longuet. Et si ‘Goodbye’ retrouve l’intensité dramatique d’un ‘Skyline Pigeon’ dans un magnifique trio piano/voix/orchestre, sa brièveté ne lui permet pas d’effacer l’impression en demi-teinte laissée par les trois morceaux qui l’ont précédé.
Avec une première face dense et une seconde plus flottante entre deux excellents titres qui encadrent des chansons plutôt moyennes, "Madman Across The Water" affiche une qualité d’écriture globalement plus riche que celle de son prédécesseur et une bien plus grande hétérogénéité. Elton John lui-même semble plus présent tant vocalement qu’au piano. L’album fut néanmoins bien moins reçu par le public anglais que son prédécesseur. Peut-être est-ce dû à un effet de décalage : après l’excellent "Elton John", le public se rue sur "Tumbleweed Connection" mais, déçu par ce dernier, boude à tort "Madman Across The Water" ? Quarante-cinq ans plus tard, ne commettez pas la même erreur et laissez-vous charmer par ce bien bel album.