Avec "It's Only Rock'n'Roll" (1974) et "Black And Blue" (1976), les Rolling Stones viennent d'enchaîner deux albums, certes loin d'être mauvais, mais clairement un cran en-dessous de ce qu'ils avaient l'habitude de nous offrir depuis plusieurs années. L'arrivée de Ron Wood à la place de Mick Taylor étant désormais actée, les Britanniques décident de se lancer dans l'écriture et l'enregistrement de leur nouvel album en se recentrant sur le noyau représenté par les membres officiels du groupe. Le nombre d'invités est réduit au minimum nécessaire et c'est à Paris que le quintet entre en studio, après avoir écrit une cinquantaine de nouveaux titres et alors que Keith Richards est sous le coup d'une procédure judiciaire au Canada où il est accusé de trafic de drogue.
Toujours connectés aux modes en cours, les Glimmer Twins ouvrent ici leur inspiration à deux mouvements musicaux dont l'essor occulte une immense partie du paysage musical : le disco et le punk. Il peut paraître étonnant de voir ces deux styles se côtoyer, mais lorsque l'on s'appelle les Rolling Stones, rien n'est impossible. Le statut du groupe est tel qu'il peut se permettre de nombreuses expérimentations sans que son identité en soit écornée. Avec 'Miss You', la patte de Mick Jagger est évidente tant le dandy est introduit dans la jet-set et a l'habitude de fréquenter les plus célèbres boîtes de nuit. Sur une base disco avec une ligne de basse originale et obsédante, les Stones réussissent à rester rock avec une mélodie et un refrain inoubliables sur lesquels viennent se greffer les interventions rutilantes de l'harmonica de Sugar Blue et un solo de saxophone flamboyant de Mel Collins. Rien qu'avec ce titre qui va squatter les ondes FM et les ventes de singles pendant de longues semaines, les Anglais ont réussi à reprendre leur trône que certains se voyaient déjà leur contester.
La suite est une nouvelle démonstration de la maîtrise de son art par une formation capable de se remettre en question en absorbant l'air du temps sans y perdre son identité. Aux rocks plus ('Lies') ou moins ('When The Whip Comes Down') influencés par le punk, répondent les plus classiques mais tout aussi imparables 'Respectable' et 'Shattered'. Profitant de trois guitares, Mick Jagger venant se joindre à la paire Richards / Wood, le premier fait preuve d'une redoutable efficacité, alors que le second se fait plus sournois et urbain, mais tout aussi obsédant. Et puis il y a tous ces éléments devenus traditionnels au sein d'un album des Rolling Stones, que cela soit la reprise d'un titre soul à la sauce rock pour un résultat à la fois cool et mélancolique ('Just My Imagination (Running Away With Me)' des Temptations), le bon gros blues reptilien et cynique aux paroles provocatrices ('Some Girls' qui déclenchera les foudres du pasteur Jesse Jackson), ou la country légère et nonchalante ('Far Away Eyes'). Tout ceci est complété par deux autres incontournables que sont le titre chanté par Keith Richards, avec le bon blues-rock d'un 'Before They Make Me Run' contant ses démêlés avec la justice canadienne, et la ballade mid-tempo 'Beast Of Burden' à la mélodie envoûtante et qui deviendra un nouveau single à succès.
Sans faille et réussissant à nouveau à maintenir un haut niveau d'exigence, "Some Girls" replace les Rolling Stones sur les sommets et prouve que ces derniers sont toujours capables d'offrir de grands albums. Le résultat sera d'ailleurs spectaculaire au niveau des ventes, ce qui permettra aux Britanniques d’asseoir à nouveau leur domination sur le monde du Rock. Keith Richards évitant l'emprisonnement au Canada au bénéfice d'un concert offert dans le cadre de travaux d'intérêts généraux, l'avenir s'annonce à nouveau radieux pour une formation renforçant encore plus sa légende.