Jeff Aug est un guitariste méconnu. Il est pourtant détenteur d’un record du monde aussi impressionnant qu’inutile réalisé en 2009 : jouer six concerts dans six pays différents en vingt-quatre heures. Voilà ce qui s’appelle donner de sa personne pour atteindre la célébrité. Mais le Guinness Book n’étant pas le livre de chevet des musiciens, l’Américain immigré en Allemagne ne réussit jamais vraiment à percer, malgré son talent pour la six-cordes, notamment électro-acoustique, qui lui permit d’assurer les premières parties de pointures comme Allan Holdsworth, Albert Lee ou Stuart Hamm. Musicalement, l’homme est plutôt éclectique puisque, outre ses propres albums solos, il participa à un projet grunge (Sorry About Your Daughter), fut le guitariste du groupe punk allemand Banana Peel Buzz et accompagna pendant de nombreuses années la célèbre artiste new-wave Anne Clark.
Nouveau projet de Jeff Aug, Ape Shifter est un power trio rock instrumental dont la volonté affichée est de revenir aux fondamentaux : une guitare, une basse, une batterie. Le fait est que l’album dégage une énergie viscérale issue de son processus de création, l’opus ayant volontairement été enregistré dans l’urgence en trois jours, dans les conditions du live et sans overdubs. Cette honorable initiative est cependant ternie par des compositions souvent approximatives et peu élaborées, trahissant un certain manque d’inspiration et gâchant souvent le plaisir auditif.
Musicalement Ape Shifter navigue entre le grunge (‘Uhluhtc’), le stoner rock (‘Desert Rock’, ‘Ratchet Attack’, ‘Brain-O-Mat’) et le hard rock zeppelinien (‘Revolution Summer’, ‘Dopomatic’, ‘Hot Rod’). Basé sur une section rythmique solide, Jeff Aug nous délivre des riffs puissants et punchy même s’ils peuvent sembler assez répétitifs sur la durée de l’album. Mais malheureusement, le travail de soliste du guitariste est plutôt laborieux voire inexistant sur certains morceaux (‘Superhero Helden’), ce qui pour un album instrumental est particulièrement dommageable. Même si Jeff Aug s’en sort avec les honneurs sur les solos les plus hendrixiens (‘Verdammt’) ou sur certains phrasés jazz (‘Uhluhtc’), ses tentatives de s’aventurer dans la cour des plus grands et notamment de Satriani (‘Sakrotani’) révèlent les limites de sa technique et mettent également en lumière, à l’insu de son plein gré, les limites mélodiques des compositions. Si bien que les musiciens, mués par une volonté évidente de se faire plaisir, oublient au fil des titres l’auditeur qui risque plus d’une fois de se sentir exclu de leur terrain de jeu.
En voulant renouer avec l’énergie du rock et un son organique et roots, Ape Shifter nous livre un album au demeurant sympathique mais au final assez raté. La faute à un manque de travail de composition qui aurait pu être excusé par l’apport d’un chanteur mais qui, dans le cas d’un album instrumental, est tout à fait préjudiciable.