Avec "Brothers And Sisters" (1973), le Allman Brothers Band a enfin atteint les sommets de la reconnaissance. Le groupe joue désormais dans des stades pour des cachets mirobolants. Il s'est même payé son propre avion comme Led Zeppelin, Deep Purple ou les Rolling Stones avant lui. Mais un succès d'une telle ampleur a le revers de sa médaille. Les ego gonflent comme la grenouille de La Fontaine, et les substances illicites sont encore plus faciles à se procurer. Voilà qui va vite ravager une formation dont la magie provenait pourtant de la complicité due à l'approche collective, voire familiale de la musique. Lancés dans leurs albums solos, Gregg Allman et Dickey Betts se retrouvent finalement en concurrence. Le dernier nommé essaye de prendre le contrôle total du groupe en tentant de profiter de l'absence du premier qui passe désormais la plupart de son temps à Los Angeles en compagnie de sa nouvelle et célèbre compagne : Cher. Face au despotisme naissant du guitariste qui voudrait voir son influence country dominer les autres, se dresse Chuck Leavell qui n'entend pas laisser disparaître l'apport du jazz dans les compositions du groupe.
C'est donc dans une ambiance détestable, dominée par les tensions internes, que commencent les sessions d'enregistrement du nouvel opus intitulé "Win, Lose Or Draw". Et pour la première fois, le sextet ne va pas enregistrer live mais bien séparément, Gregg Allman mettant en boîte la plupart de ses prises depuis la Californie quand Betts et Trucks viennent quand bon leur semble, laissant Leavell, Williams et Jaimoe (surnom de Johanson) se débrouiller comme ils peuvent. Et le résultat est celui que l'on peut attendre d'une telle débâcle humaine. Finie la complémentarité entre Dickey Betts et Chuck Leavell. Terminée la complicité palpable sur chaque titre du groupe jusque-là. Envolées les jams qui faisaient décoller les amateurs. The Allman Brothers Band est devenu un groupe comme les autres, sans magie particulière, offrant un opus qui aurait pu faire le bonheur d'une formation débutante, mais qui se révèle indigne du groupe dans sa plus grande partie.
Seule la cover de Muddy Waters, 'Can't Lose What You Never Had', fait encore illusion en début d'album avec un chant toujours aussi chaud de la part de Gregg Allman et un bel enchaînement de soli de claviers, piano et guitare. C'est encore le leader naturel du groupe qui sauve les meubles sur le titre éponyme, jolie ballade dont l'émotion est à la fois palpable et délicate, même si elle aurait probablement été plus profonde il y a quelques années. Pour le reste, circulez, il n'y a rien à entendre, ou pas grand-chose. Les tentatives country de Dickey Betts tombent à plat face au manque d'enthousiasme flagrant de ses compères ('Just Another Love Song'). Au point que Butch Trucks et Jaimoe ne joueront même pas sur 'Louisiana Lou And Three Card Monty John' et 'Sweet Mama' (cover de Billy Joe Shaver), abandonnant la place à Johnny Sandlin, coproducteur de l'album, et Bill Stewart. Malgré son chant plus convaincant, Gregg Allman fait à peine mieux sur 'Nevertheless', alors que le guitariste réussit même à s'auto-parodier sur 'High Falls', pâle copie du divin et légendaire 'In Memory Of Elizabeth Reed'. Cet instrumental s'étire en longueur sans complicité ni magie, démontrant finalement l'état d'un groupe à l'agonie.
De victoire, il n'y aura point, tout juste un match nul entre les ego, mais surtout une défaite pour tout le groupe, tant ce recueil de titres met en exergue les déchirements entre ses membres. A peine deux ans après avoir touché les cieux et obtenu la reconnaissance que l'ensemble de son début de carrière méritait, The Allman Brothers Band se prend les pieds dans les pièges tendus par la célébrité. Un échec qui laissera des traces trop profondes pour que les Géorgiens s'en relèvent. Alors qu'il a été arrêté en possession de drogue, Gregg Allman ne s'en sortira qu'au prix d'un comportement douteux, puisqu'il semblerait qu'il ait dénoncé son dealer qui n'était autre qu'un employé du groupe. Le groupe se séparera sur cette triste note, mais comme tout le monde le sait, les légendes ne meurent jamais !