Soif de créativité ou engagement contractuel avec sa maison de disques ? Toujours est-il qu’Elton John continue de sortir des albums à une cadence infernale, "Honky Chateau" paraissant six mois après "Madman Across The Water". Le château dont il est question est celui d’Hérouville où le disque est enregistré pour de triviales affaires de taxes, inférieures en France à celles perçues en Angleterre.
Si le binôme John/Taupin préside toujours à l’écriture des chansons, il s’entoure pour la captation de celles-ci de la section rythmique Murray/Olsson qui jusqu’alors était cantonnée aux concerts, renforcée du guitariste Davey Johnstone. Cette ossature qui va être reconduite sur les albums suivants donne une dimension "groupe" qui se ressent dans la musique, les claviers partageant volontiers leur espace avec les guitares, accompagnés de la présence bienveillante, à la fois discrète et efficace, de la basse et de la batterie.
Pas de recours à l’orchestre cette fois, seuls le violon électrique de Jean-Luc Ponty sur deux morceaux et un ensemble de cuivres sur le titre introductif sont autorisés à s’exprimer au côté d’une formation très rock’n’roll. Et c’est également la direction que prennent les compositions d’Elton John, "Honky Chateau" contenant peu de ballades et beaucoup de chansons énergiques et dansantes.
Au titre des premières se trouvent néanmoins des titres incontournables : ‘Rocket Man’ combinant parfaitement choeurs langoureux, slide guitar, chant malheureux et mélodie à tomber, et le moins connu mais tout aussi réussi ‘Mona Lisas and Mad Hatters’ à la nostalgie prégnante. Si ‘Mellow’ navigue entre deux eaux, entre mélancolie et dynamisme, le reste de l’album est constitué de rocks qui donnent la pêche et souvent le sourire. Car Elton John manie avec intelligence la parodie sur des titres comme ‘I Think I'm Going to Kill Myself’ qui, en dépit de son titre, est tout en décontraction (savoureux numéro de claquettes !) ou ‘Hercules’ dont les chœurs "doo wap shi wap", s’ils ne se prennent pas au sérieux, n’en sont pas moins fort agréables. Et comment résister à la furieuse envie de danser qui vous prendra à l’écoute du chaloupé ‘Honky Cat’ ou du très rock’n’roll ‘Susie’ ?
Elton John apparaît au mieux de sa forme vocale et les délicates arabesques de son piano sont de purs moments d’enchantement. Davey Johnstone nous offre de belles incisions de guitare et la paire rythmique apporte juste ce qu’il faut de relief, suffisamment pour être apprécié mais pas trop pour couvrir les autres musiciens. Enfin, le trio Johnstone/Murray/Olsson enrichit de ses chœurs nombre de titres, une signature qui se retrouvera sur les albums suivants.
"Honky Chateau" marque une légère inflexion dans la carrière d’Elton John vers un rock plus direct et dynamique, doté qui plus est d’une véritable dimension “groupe” qui manquait peut-être à ses prédécesseurs. Un album de rock’n’roll donnant la pêche et le sourire.