S'il est une reformation que les amateurs de rock mélodique attendaient avec un fol espoir, c'est bien celle du combo de Chicago. 18 ans après le crépuscule représenté par "Too Hot To Sleep" (1988), ce sont donc des yeux ébahis et n'osant trop y croire qui découvrent un nouvel opus de Survivor dans les bacs de leurs disquaires préférés. Seul survivant de la formation d'origine ayant traversé tous les âges, le guitariste Frankie Sullivan a réussi à convaincre de le rejoindre le batteur Marc Doubray, pas rancunier après son départ en 1987, et le vocaliste Jimi Jamison, qui avait tenté de faire survivre le groupe contre l'avis de ses anciens camarades. Ceci avait d'ailleurs été à l'origine d'une bataille judiciaire qui semble avoir été oubliée. Pour remplacer Jim Peterik qui a préféré se consacrer à son nouveau projet Pride Of Lions, c'est le claviériste Chris Grove qui a été recruté, ainsi que l'ancien bassiste de Dokken et d'Yngwie Malmsteen, Barry Dunaway.
A quoi s'attendre d'un groupe aussi légendaire et qui revient sans l'un de ses fondateurs et leaders ? Avant de répondre, il est important de préciser qu'une partie des titres proposés ici ont été écrits entre 1988 et 1993. A l'époque, Peterik et Sullivan avaient tout d'abord tenté de renouer avec Dave Bickler, vocaliste du groupe jusqu'en 1983, puis avaient enrôlé Robin McAuley (ex M.S.G.), mais aucune de ces tentatives n'avaient abouti à un album, même si un recueil de démos était sorti en 1996 ("Fire Makes Steel (The Demos)"). Un coup d'œil aux noms des compositeurs laisse donc craindre un manque de cohérence, Jamison n'ayant participé qu'à trois titres, deux autres ayant été écrits avec Dave Bickler, et trois avec Jim Peterik. Heureusement, Frankie Sullivan sert de liant à l'ensemble étant de l'écriture de chaque titre et en ayant composé seul trois autres.
Malgré tout, après un départ euphorisant composé d'un titre éponyme hymnique mariant mélodie et énergie et de son petit frère 'Fire Makes Steel', le hard FM ayant fait la légende de Survivor n’apparaît plus que par rares intermittences. 'Gimme The Word' se fait musclé, à la fois sombre et désespéré mais toujours efficace et accrocheur, 'Don't Give Up' offre un AOR majestueux au refrain direct et imparable, alors que 'Talkin' 'Bout Love' voit Frankie Sullivan s'emparer du micro, ce qui relance une question qui était déjà d'actualité sur un 'Nevertheless' aux accents rock'n'roll proches de Cheap Trick : pourquoi ne pas laisser chanter Jimi Jamison sur tous les titres ? Ce n'est pas que le guitariste s'en sorte sans les honneurs, mais la comparaison avec le vocaliste est, sans surprise, en sa défaveur. Le reste de l'album donne dans la multiplication de douceurs en tous genres avec des ballades sous toutes leurs formes. Le quintet ayant déjà fait ses preuves dans cet exercice, il n'y a rien à jeter et la délicatesse de 'One More Chance', 'Rhythm Of My Heart' et 'Half Of My Heart' fera fondre les palpitants les plus métalliques. Mais même l'ajout d'éléments plus rock US dans les mid-tempi 'Seconds Away' ou 'Home' ne suffira pas à limiter un léger excès de sucrerie.
Au bout du compte, "Reach" se révèle un retour plutôt réussi mais qu'un abus de titres calmes empêche de placer aux côtés des meilleurs albums de la légende de Chicago. Il n'empêche que le plaisir domine largement à l'écoute de compositions bien troussées et sans faille. Les refrains s'insèrent toujours aussi bien dans les mémoires et la place laissée aux soli de guitare ne fait que rajouter à la qualité de l'ensemble. Malheureusement, la suite ne permettra pas de transformer l'essai, la faute à un line-up instable qui verra les trois chanteurs jouer au jeu des chaises musicales avant le triste décès de Jimi Jamison. Si Frankie Sullivan essaye toujours de maintenir le groupe en vie, il n'y a désormais plus beaucoup d'espoirs de le voir nous offrir un recueil de nouvelles compositions.