Sept albums studio en quatre ans de carrière ! Elton John fait preuve à cette époque d’une créativité exceptionnelle. Et, comme si cette cadence infernale ne lui suffisait pas, voilà que pour ce septième opus, lui et son parolier Bernie Taupin réunissent suffisamment de matériel pour un double album. Certes avec les critères des productions des années 70, chaque face ne dépassant pas les vingt minutes, la durée totale du disque avoisine celle d’un CD actuel bien rempli. Mais, contrairement aux productions contemporaines qui contiennent souvent leur lot de remplissage ennuyeux pour atteindre 80 minutes plus prometteuses que réellement satisfaisantes, il n’y a rien à jeter dans "Goodbye Yellow Brick Road".
L’album est gorgé de mélodies imparables, dans un style certes désormais bien rodé par Elton John. Les musiques sont d’une qualité exceptionnelle, les ballades mélancoliques ('Candle in the Wind', 'Goodbye Yellow Brick Road', 'I've Seen That Movie Too', 'Harmony'…) ne sont jamais sirupeuses et les titres plus enlevés sonnent justes, de bons rocks qui donnent envie de chanter et de taper des mains ('Bennie and the Jets', 'Grey Seal'. 'Your Sister Can't Twist (But She Can Rock 'n Roll)', 'Saturday Night's Alright for Fighting'…). Une grande homogénéité se dégage de l’album qui alterne très intelligemment les ballades douces et les moments plus rythmés. Les mélodies sont faciles à retenir, au format de chansons conventionnelles, mais l’orchestration est riche, le jeu des musiciens absolument pas linéaire et plusieurs titres s’enrichissent de petits motifs originaux (le faux live de 'Bennie and the Jets', l'atmosphère déjà très 'Hakuna Matata' de 'Jamaica Jerk-Off', les samples de mouettes et de vagues de 'Sweet Painted Lady', le solo de sax jazzy de 'Social Disease') qui, sans perdre l’auditeur, contribuent au contraire à captiver son attention.
L’ensemble joue comme un groupe, chaque musicien étant complémentaire des autres et indispensable. Le piano est fréquemment à l’honneur, mais aussi la guitare, et la rythmique très présente joue un rôle essentiel. Elton John s'investit dans son rôle de chanteur, aussi parfaitement à l’aise dans le registre médium grave que dans les aigus, aussi bon en chanteur de charme romantique qu’en rocker déluré. Les autres membres du groupe mêlent fréquemment leurs voix dans des chœurs qui enrichissent l’ensemble.
Même si l’album en son entier est d’une qualité exceptionnelle, certains titres méritent d’être cités. Tout d’abord, le morceau qui ouvre l'album, inhabituel par sa durée (11 minutes) et par sa première partie instrumentale. En fait, ‘Funeral for a Friend/Love Lies Bleeding’ est constitué de deux morceaux distincts et enchaînés, le premier entièrement instrumental, ouverture grandiose et progressive (ce sera là la seule concession d’Elton John à un genre qui s’impose sur la musique de l’époque) et le second revenant à un rock entraînant typique du style Elton John du moment. ‘Candle in the Wind’ (qui aura la seconde vie que l’on sait lors de l’hommage à Lady Di), ‘Bennie and the Jets’, ‘Goodbye Yellow Brick Road’, ‘I've Seen That Movie Too’, ‘Saturday Night's Alright for Fighting’ ou encore ‘Harmony’ sont autant de moments-clés de l’album.
1973 est un grand cru musical : "Aladdin Sane" (Bowie), "Selling England by the Pound" (Genesis), "Lark’s Tongue in Aspic" (King Crimson), "Houses of the Holy" (Led Zeppelin), "The Dark Side of the Moon" (Pink Floyd), "Grand Hotel" (Procol Harum), "Tales from Topographic Oceans" (Yes), "Goat’s Head Soup" (The Rolling Stones), "Tubular Bells" (Mike Oldfield), "Berlin" (Lou Reed), "Quadrøphenia" (The Who), les fées se sont penchées sans modération sur le berceau du rock cette année-là. “Goodbye Yellow Brick Road" peut s'enorgueillir de figurer au milieu de cette liste impressionnante et reste à ce jour l’un des plus grands albums du rock, toutes catégories confondues.