Difficile de succéder à un monument comme "Goodbye Yellow Brick Road". C’est pourtant la lourde tâche qui incombe à "Caribou" qui tient son nom du studio d’enregistrement (The Caribou Ranch situé dans le Colorado), un truc déjà utilisé par Elton John avec "Honky Château". Dire que la pochette est attrayante relève de la faute de goût : on y voit un Elton John souriant en pied, arborant de grosses lunettes blanches (il en a des dizaines de paires toutes plus excentriques les unes que les autres), un pantalon noir à la taille anormalement haute et une veste imitation tigre du plus bel effet kitsch, le tout devant un faux paysage de montagne bleuté. Bref une horreur qui ne donne pas envie d’écouter le disque.
Pourtant, ce serait là une grave erreur car le ramage ne se rapporte fort heureusement pas au plumage. "Caribou" se veut une collection de titres d’ambiances assez éclectiques, alignant rocks classiques (‘The Bitch Is Back’, ‘Grimsby’, ‘You're So Static’), ballades mélancoliques (‘Pinky’, ‘I've Seen the Saucers’, ‘Don't Let the Sun Go Down on Me’), country (‘Dixie Lily’), simili hard rock (‘Stinker’) et même des titres inclassables comme ‘Solar Prestige a Gammon’, qui hésite entre mélodie Beatles-esque légère et sautillante et chant d’opéra italien, avec un texte psychédélique constitué d’onomatopées et de mots inventés, ou ‘Ticking’, longue ballade désenchantée et répétitive habillée d’un étrange accompagnement.
Un curieux melting-pot qui pourtant fonctionne plutôt bien malgré quelques faiblesses (l’ambiance western peu originale de ‘Dixie Lily’, la voix nasillarde ou fatiguée d’Elton John et le final escamoté en fade out de ‘Stinker’, la durée un peu longue de ‘Ticking’) mais qui possède aussi de beaux atouts : les ballades sont toutes poignantes (Elton retrouve les intonations de ‘Skyline Pigeon’ ou ‘Candle in the Wind’ sur le moins connu ‘I've Seen the Saucers’, et faut-il encore présenter ‘Don’t Let the Sun Go Down on Me’ ?), les rocks entraînants et le curieux ‘Solar Prestige a Gammon’ démontre toute la fantaisie dont Elton John est capable.
L’album est enregistré très vite, en neuf jours, avant que le groupe désormais soudé qui officie autour du chanteur depuis "Honky Château", renforcé du percussionniste Ray Cooper, ne s’envole pour une tournée au Japon. Le fidèle producteur Gus Dudgeon se chargera seul de l’habillage, ajoutant de nombreux chœurs exogènes et une section de cuivres donnant une teinte grande variété américaine parfois proche de la pop vers laquelle Elton John finira par se tourner.
Dudgeon porte un regard assez critique sur "Caribou", qualifiant l’album de mauvais, avec des chansons mal foutues, une pochette horrible (difficile de dire le contraire !), des musiciens et un chanteur pas au mieux de leur forme (il est vrai qu’Elton John n’est pas toujours très en voix, celle-ci étant par moments dure à reconnaître). Pourtant, sans atteindre la qualité exceptionnelle des deux disques qui l’encadrent, "Caribou" introduit suffisamment de variété pour prodiguer une écoute agréable.