The Residents est sans nul doute le groupe le plus radical et le plus mystérieux de notre planète. Formé à la fin des années 60, ce collectif d'artistes américains d'avant-garde décide de se draper de mystère, allant jusqu'à dissimuler l'identité de ses membres (plus tard, ils adopteront d'énormes globes oculaires en guise de masque). Il se raconte que le nom a été trouvé par la Warner, qui n'ayant pu trouver de patronyme à qui retourner les bandes envoyées par le groupe, a adressé son courrier aux résidents de l'immeuble !
''Meet The Residents'' révèle le caractère iconoclaste de ce groupe qui a pris la pop musique pour cible et champ d'expérimentation. Parodiant ''Meet The Beatles'', la pochette affuble les Fab Four de collages d'yeux et moustaches, donnant au quatuor de Liverpool un aspect étrange voire ridicule (EMI interdira cette pochette, qui sera remplacée par une nouvelle révélant le prénom des Beatles accolés à des noms de poissons). Cette volonté de briser les codes des formats musicaux se retrouve dès l'entrée en matière avec 'Boots', un méconnaissable extrait du refrain de 'These Boots Are Made For Walkin' de Nancy Sinatra. Passé à la moulinette, le tube se retrouve dépouillé de sa substance avec son chant volontairement faux, ses percussions et chœurs ironiques. En moins d'une minute, le groupe met le cap sur un monde inquiétant, chaotique et dissonant. Si le chant masculin est soit clair (les moqueurs 'Merry Christmas' de Seasoned Greetings') soit éraillé ('Infant Tango', 'N-er-gee (Crisis Blue)'), donnant l'impression d'écouter un psychopathe aviné), le rare chant féminin n'apporte que peu de réconfort sur 'Breath And Lenght' ou se fait opératique sur 'Spotted Pinto Bean', marqué par le piano et la cacophonie des cuivres.
Pour autant, si le groupe s'amuse avec les bandes et les sons, il est bien capable de produire des orchestrations très construites : 'Rest Aria', avec son piano et son glockenspiel, prouve que le combo a bien digéré les leçons de Richard Stravinski et suscite un frisson cinématographique. Les pistes les plus progressives 'Infant Tango' et 'Seasoned Greetings', marquées par les cuivres et la wah-wah, laissent place à un impressionnant crescendo qui rappellerait l'espace d'une mesure les premiers albums de Pink Floyd ! The Residents se paie même le luxe d'être en avance sur son temps : avec 'Guylum Bardot', le groupe défriche un jazz noir, qui deviendra le Rock In Opposition, alors que 'Skratz' lorgne vers le metal industriel. Malheureusement, ce laboratoire sonore en est encore à l'état de tâtonnements. Sur la première face, les premières pistes peu conséquentes s'enchaînent trop rapidement, tandis que sur la seconde, le groupe décline timidement son propos sur des formats plus enlevés, expérimentant à tour de bras. Mais qui sait, ce déséquilibre est peut-être prémédité...
La musique de cet album serait ''comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie.'' The Residents ouvre un champ de recherches sonores qu'il va enrichir au fil des albums. A sa sortie, l'album sera un magistral flop, ce qui incitera le groupe à poursuivre sa quête au-delà du son. L'espace d'un instant, la dernière piste 'N-er-Gee' s'oriente vers un rock 'n' roll qui annonce l'album suivant, un chef-d'œuvre totalitaire !