L'école de musique la plus prestigieuse du monde, celle qui forme l'élite musicale moderne, principalement jazz, est la Berklee College Of Music de Boston. En 2009, trois étudiants de cette institution, qui a notamment vu émerger Steve Vai, les musiciens de Dream Theater, Gary Burton, Al Di Meola, Vinnie Colaiuta ou Zoe Zawinul, décident de monter le groupe Bent Knee qui sortira une première démo éponyme en 2011. Le noyau initial formé autour de Courtney Swain (chants), Ben Levin (guitare) et Vince Welch (production et ingénieur du son) se renforce de trois autres musiciens (sans compter plus de vingt autres talents aux cuivres, cordes et chœurs qui participent à l'album) lors de la sortie de "Shiny Eyed Babies" en 2014, le véritable premier album de Bent Knee et témoignage de la grande originalité créative de ce groupe unique.
Les musiciens de Bent Knee aiment travailler les interfaces et repousser les limites des genres en osant les associations les plus fertiles. Leurs styles de prédilection : le jazz, le rock et la pop qu'ils mélangent pour satisfaire à l'idée qu'ils se font de leur art, qui est avant tout une question d'émotions. Pour en générer, les Américains jouent sur les contrastes naturellement provoqués par la mise en présence d'éléments antagonistes. C'est particulièrement audible dans les premiers moments du disque avec le très onirique et cérémoniel 'Black Tar Water' bousculé par le martèlement de percussions, l'accessible et pop 'Leak Water' perturbé par des distorsions rythmiques et harmoniques, et 'Counselor' qui voit cohabiter une ambiance sous tension et stridente avec l'entrain d'une énergie néo-punk à la Cardiacs.
Après un début de disque art-rock très mélodieux, Bent Knee montre sa facette la plus avant-gardiste et expérimentale avec le déstructuré et chaotique 'Eve' aux accents free-jazz et atmosphérique. Dans la seconde partie de "Say So", chaque piste est une nouvelle aventure qui procure des sensations différentes et surprend l'auditeur avec des passages de pure douceur dans lesquels les chœurs sont mis en avant ('The Things You Love'), des ascensions émotionnelles qui rappellent l'époustouflant 'In God We Trust' ('Hands Up' et 'Nakami' bâti sur des tonalités jazz et asiatiques) et des modèles de pop-rock débridé dans la veine des géniaux Everything Everything ('Hands Up' et 'Commercial').
Bent Knee est un véritable collectif de jeunes musiciens de très grande qualité technique mais surtout aux dons harmoniques impressionnants. Si parler d'individualité est un contresens quand on aborde ce groupe, il est impossible de ne pas mentionner le rôle atypique d'un Vince Welch, designer sonore et producteur au sein du groupe, particulièrement important dans le rendu des ambiances, des arrangements et des textures, et surtout Courtney Swain, la charismatique chanteuse-claviériste qui envoûte chaque seconde de "Say So". Sa voix, peut-être une des plus belles du rock progressif actuel dans ce croisement entre Amanda Palmer, Moorea Dickason et Kate Bush, tout autant réconfortante et bouleversante qu'éblouissante, guide l'auditeur tout au long de l'expérience qu'est l'immersion dans "Say So".
"Say So" est un véritable bol d'air frais dans le rock progressif moderne. D’un accès aisé, en vertu de la dimension pop de son écriture, la musique de Bent Knee s’avère fascinante par la densité de ses arrangements et la richesse de ses détails difficiles à décoder et promet un plaisir d’écoute à chaque fois renouvelé. Ce deuxième album confirme les qualités entendues deux ans plus tôt dans "Shiny Eyed Babies" et installe les Américains comme valeur montante du rock progressif moderne.