Il est amusant de constater à quel point les pochettes peuvent refléter, dans une certaine mesure, le contenu de l’album qu’elles enveloppent. Un peu comme si contenu et contenant s’influençaient mutuellement. C’est notamment le cas pour Elton John en ce milieu des années 70 où s’alternent pochettes dessinées au riche graphisme ("Goodbye Yellow Brick Road", "Captain Fantastic And The Brown Dirt Cowboy", "Blue Moves") et photographies kitsch de l’artiste ("Caribou", "Rock of the Westies", "A Single Man"). Avec un net avantage esthétique, visuel et auditif, pour les premières.
Pourtant, peu de changements apparents entre ce neuvième album de l’excentrique Anglais et son prédécesseur. Toujours entouré de son fidèle groupe, Elton John est de retour au Caribou Ranch pour enregistrer les chansons composées avec son complice de toujours, Bernie Taupin, sous l’égide de son producteur fétiche, Gus Dudgeon. Mais cette fois, John et Taupin insufflent une tournure autobiographique à leurs compositions, racontant leurs débuts difficiles dans le métier, ce qui donne à l’album cette tonalité douce-amère.
Les choristes et les cuivres de "Caribou" ont été remerciés (seul ‘Tell Me When the Whistle Blows’ est accompagné d’un orchestre, rendant ce titre assez incongru). De ce fait, le disque sonne plus rock. On retrouve l’alternance classique ballades/rocks mais les titres sont plus longs, permettant des digressions, souvent sous forme de conclusions sur un thème différent de celui du reste de la chanson. Les chansons les plus rythmées (‘Bitter Fingers’, ‘(Gotta Get a) Meal Ticket’, le saisissant ‘Better Off Dead’ et le plus anecdotique ‘Writing’ au rythme funky) groovent bien et invitent à danser. Les slows (‘Tower of Babel’, ‘We All Fall in Love Sometimes’, ‘Curtains’) sont très romantiques sans sombrer dans la mièvrerie et Elton John s’y avère souvent poignant, d’une sensibilité à fleur de peau comme sur l’excellent ‘Someone Saved My Life Tonight’ relatant un passage particulièrement difficile de sa vie.
Les musiciens sont à leur affaire avec un Davey Johnstone en verve et une section rythmique efficace. Elton John nous gratifie de belles envolées au piano et les titres alternent agréablement vigueur et douceur, lyrisme et rage, intimisme et faste orchestral. "Captain Fantastic" est un album très réussi, dense, sombre, varié mais homogène, ce que n’était pas son prédécesseur, atteignant le niveau d’excellence de "Goodbye Yellow Brick Road". Un tableau idyllique qui cache cependant un futur qui va rapidement s’assombrir avec la dislocation prochaine du groupe, symptôme physique d’un malaise plus profond.