En sept ans, Elton John a abattu un travail de bûcheron. Onze albums studios, 122 chansons, sans compter les nombreuses laissées-pour-compte qui viendront enrichir les rééditions futures, 466 dates de concert à travers le monde, un succès qui ne se dément pas depuis son deuxième album éponyme, notamment aux USA où six de ses albums sont n°1. Midasman, ainsi qu’on le surnomme désormais car tout ce qu’il touche semble se transformer en or, a de quoi être satisfait. Pourtant, une telle cadence est difficile à supporter, même pour un artiste aussi prolifique qu’Elton John, et son dernier album "Rock of the Westies" avait montré une nette baisse d’inspiration. Aussi la parution l’année suivante pour la première fois sur son propre label, Rocket Records, d’un double album, le second de sa carrière, a de quoi surprendre. Et d’inquiéter…
Le line-up est pléthorique. Outre les six musiciens qui l’accompagnaient déjà sur le précédent album, Elton John s’entoure du London Symphony Orchestra, d’un ensemble de cordes, d’un quatuor de cuivres, de deux chorales et d’une douzaine de choristes. L’album comprend 18 titres répartis sur 4 faces dont certains sont composés par plusieurs membres du groupe en collaboration avec le binôme John/Taupin. La courte introduction instrumentale est même écrite par le seul Caleb Quaye, une première sur un album d’Elton John.
Tous ces éléments, conjugués à la volonté d’Elton John de faire évoluer son style musical comme il l’avait annoncé pour l’album précédent, sans y parvenir toutefois, aboutissent à un album extrêmement éclectique. Cette fois, Elton John a atteint son but en rompant avec le style instauré depuis "Honky Chateau" d’un rock’n’roll chatoyant et immédiat entrecoupé de ballades romantiques. Mais en diversifiant trop son propos, il perd parfois l’auditeur en route.
Car les styles abordés sont nombreux : s’il reste encore quelques rocks et quelques ballades, on trouve aussi des titres jazzy (‘Chameleon’, ‘Idol’), orchestraux (la superbe introduction de ‘Tonight’), acoustiques aux harmonies vocales proches de CSNY (‘Cage the Songbird’, la présence de Stephen Stills et Graham Nash parmi les choristes n’étant certainement pas étrangère à cette impression), aux étranges tonalités orientales (‘The Wide-Eyed and Laughing’), aux ambiances funky (‘Between Seventeen and Twenty ‘) ou gospel (‘Where's the Shoorah ?’), et même un boogie-woogie (‘Boogie Pilgrim‘) et un bon vieux rock’n’roll (‘Bite Your Lip (Get Up and Dance !)’). Ajoutez-y une instrumentation très ouverte où les classiques instruments associés aux groupes de rock côtoient ceux d’un orchestre symphonique, des cuivres et un sitar et vous comprendrez qu’il y a de quoi faire tourner la tête au mélomane le plus ouvert.
Par ailleurs, "Blue Moves" ne réédite pas l‘exploit de "Goodbye Yellow Brick Road". Là où ce dernier alignait dix-sept titres sans faiblesse, "Blue Moves" ne peut réellement compter que sur la moitié de ses titres pour que le charme opère, le reste faisant office de remplissage. Néanmoins, cette moitié s’avère d’un tel niveau qu’elle justifie à elle seule l’achat de ce disque. Il est simplement dommage qu’Elton John n’ait pas eu la lucidité de s’en tenir à un album simple, diluant les bonnes idées avec des choses moins inspirées. Celui-ci aurait alors atteint la qualité d’un "Goodbye Yellow Brick Road" ou d’un "Captain Fantastic".