En sortant son troisième album "Say So", Bent Knee confirmait l'originalité et la fraîche inspiration dont le sextet est porteur et trustait les premières places dans le très fameux classement des cinq albums incontournables de l'année 2016. Profitant de sa période de grande fertilité créatrice, Bent Knee nous revient pour un quatrième album très attendu, "Land Animal". Pendant cette dernière année les événements se sont accélérés pour les membres de Bent Knee, leur popularité s'est envolée en même temps que les tournées se succédaient. Il était presque logique qu'un grand label reconnu mette la main sur cette pépite. C'est chose faite avec le prestigieux label InsideOutMusic.

S'il y a bien un invariant chez Bent Knee c'est son précieux line-up, qui représente plus qu'une simple addition de musiciens extrêmement talentueux, c'est la grande force de ce collectif, sa condition d'existence. Bent Knee exprime sa nature profonde dans "Land Animal" comme précis de tous les éléments qui font sa signature, réduite à sa forme la plus pure et la plus radicale. Comme "Say So" l'avait laissé entrevoir, "Land Animal" fonctionne selon des associations de deux ou trois titres ayant des caractéristiques communes. Le début de "Land Animal" est plutôt orienté selon un art-rock qui laisse beaucoup de place aux guitares de Ben Levin (et d'une certaine manière de Chris Baum qui joue souvent en pizzicato) et aux convulsions rythmiques avec 'Terror Bird' qui donne une idée de ce qu'aurait pu être la collaboration entre Bruce Soord et Thom Yorke, 'Hole' qui fait penser à un Mew japonisant exalté par les hauteurs vocales de Courtney Swain ou le funk groovy de 'Holy Ghost'.

'Insides In' et 'These Hands' installent la composante éthérée de Bent Knee, celle qui permet au groupe de révéler le plus subtilement toute sa charge spirituelle dans des montées paroxystiques saisissantes. Les arrangements de piano, de claviers et de cordes donnent toute leur ampleur à ces compositions qui mettent en contraste la douceur et la mélancolie avec la tension et l'intensité émotionnelle. La synthèse rock symphonique s'incarne dans les brillants 'Land Animal' et 'Time Deer', tous deux architecturés selon un thème d'une grande hauteur mélodique qui revient à plusieurs reprises pour structurer des développements d'une rare complexité (notamment 'Time Deer' qui passe de la brit-pop-indie à la frénésie orientale en un peu plus de quatre minutes).

Respectant l'esprit de la tradition progressive, Bent Knee refuse le corset de la schématisation trop triviale et fait exploser les représentations à l'occasion d'une fin de disque débridée et déstructurée avec 'The Well' aux chœurs exubérants, colorée par la pop 'Belly Side Up' aux accents nourris des origines nippones de Courtney Swain, ou sombre et electro par l'intermédiaire de 'Boxes' qui rappelle le Radiohead le plus hypnotique. Déjà mentionnées dans la chronique de "Say So", et avec peut-être plus d'excès et de sophistication pour "Land Animal", les performances vocales de Courtney Swain sont impressionnantes de profondeur et de sincérité, s'inscrivant dans la tradition des interprètes marquantes allant de Kate Bush ('Holy Ghost' et 'Belly Side Up') à Bjork en passant par sa compatriote Shiina Ringo.

"Land Animal" perpétue l’ambiguïté éprouvée par l'auditeur en abordant un album de Bent Knee qui joue sans cesse sur les catégories du frivole et du sérieux. La dimension ludique de la pop engendre la première et rend possible l'immersion dans le sérieux et la complexité du rock progressif de très grande qualité et originalité composé par les Américains. Si Bent Knee a supprimé les penchants expérimentaux et les dissonances de son écriture, qui la rendaient parfois hermétique, il faudra néanmoins un nombre certain d'écoutes pour savourer toutes les nuances et subtilités dont regorge "Land Animal". La récompense est à la hauteur de l'investissement car Bent Knee vient d'enfanter le meilleur disque de sa jeune carrière.