Pour ceux qui l'ignoreraient, rappelons pour commencer que Dread Sovereign est le projet doom de A.A. Nemtheanga, maître de cérémonie charismatique de Primordial, ce qui devrait suffire à vous convaincre de vous intéresser sérieusement à lui.
Quand le groupe, que complètent Bones, ancien guitariste de De Novissimis et Sol Dubh (Primordial), désormais remplacé derrière les fûts par l'ex Altar Of Plagues Con Ri (aka Johnny King), a été lancé, quelle ne fut pas notre joie d'apprendre qu'Alan allait enfin - réellement - se frotter à un genre qui, de par sa gravité minérale, était de toute façon taillé pour son chant puissamment émotionnel. Il faut dire que nous avions tous encore en mémoire sa gigantesque performance sur le "Human Antithesis" de Void Of Silence qu'il hantait de sa poignante présence.
Un EP originel ("Pray To The Devil In Man") en 2013, suivi d'un premier album ("All Hell's Martyrs") en 2014, ont confirmé que le doom dans son expression la plus granitique et messianique avait trouvé dans celui que l'on tient - à raison - comme un des vocalistes les plus habités de la chapelle noire, sa sévère incarnation. En attendant le successeur de "Where Greater Men Have Fallen", dernier opus en date de Primordial, l'Irlandais offre ce "For Doom The Bell Tolls" de toute beauté. Encore une fois ses (nombreux) fidèles reconnaîtront aisément sa griffe ainsi que son goût, dont il ne se départira jamais, pour un matériau abrupt d'une grande pureté, creusé dans ces falaises battues par les vents. Dread Sovereign partage avec son aîné cette même souffrance, ce désespoir douloureux dont les burins se confondent autant avec cette voix empreinte d'une tristesse déchirante que dans ces lignes de guitare rocailleuses.
Long d'à peine plus de trente minutes, il est permis de regretter que cette seconde offrande accueille deux pistes instrumentales, quand bien même 'Draped In Sepulchral Fog', par ses atours sinistres, s'inscrit parfaitement dans un ensemble marqué d'un sceau funèbre, ainsi qu'une reprise de Venom, 'Live Like An Angel, Die Like A Devil', qui tombe un peu comme un cheveu sale sur la soupe en guise de conclusion même si, là encore, thématiquement, elle ne dénote pas. Mais combien nous aurions préféré à sa place une composition inédite dans cette veine aussi mortuaire que puissante chère au trio ! Sur six titres seulement, ça commence à faire beaucoup.
Toutefois, les trois autres titres, par ailleurs les plus longs du lot, qui nourrissent l'âme de "For Doom The Bell Tolls", justifient en réalité à eux seuls son écoute. Du haut de ses treize minutes au garrot, 'Twelve Bells Toll In Salem' est un monument à la gloire d'un doom sentencieux, une cathédrale millénaire dressée dans la nuit où Nemtheanga chante comme si demain ne devait plus exister, portant sur ses épaules toutes la mélancolie d'un monde au bord de l'apocalypse. Soulignée par des claviers brumeux, la six-cordes de Bones tisse en fin de parcours une toile dont chaque fil est une note de tristesse inexorable.
Plus tendu et nerveux, 'This World Is Doomed' se veut lui aussi le cénotaphe émotionnel au centre duquel brûle ce chant qui donne des frissons, plus possédé que jamais. Précédé d'un pont instrumental de toute beauté, le final, bouleversant, prend aux tripes par la force de ces lignes vocales d'une solennité tragique. Plus étonnant se révèle enfin 'The Spines Of Saturn', lente et duveteuse pulsation aux couleurs cosmiques et progressives, emportée par ces rouleaux de batterie qui se fracassent contre les rochers et où Alan se met en retrait au profit d'un orgue Hammond fantomatique.
Plongée dans des temps anciens ténébreux, "For Doom The Bell Tolls" s'impose, malgré un air de trop peu, comme le joyau d'un doom âpre et funeste.