Deux ans se sont écoulés entre la sortie de "Blue Moves" et celle de son douzième album, "A Single Man". Certes, en ayant repris son indépendance en créant son propre label Rocket Records, Elton John n’est plus contraint de respecter la cadence infernale de deux albums par an que lui imposait DJM. Mais ce ralentissement traduit aussi un essoufflement de l’artiste. La muse ne le taquine plus aussi souvent et la vie dissolue qu’il mène, entre drogue et alcool, commence à miner sa santé (il sera d’ailleurs hospitalisé peu de temps après la parution du disque).
"A Single Man", un homme seul. Reflet des sombres pensées d’Elton John qui, malgré son succès, éprouve un sentiment de solitude et commence à être rongé par le doute. Jouant les divas capricieuses, il a fait table rase de son passé. Des musiciens, anciens ou plus récents, qui lui étaient fidèles, il ne reste plus que le percussionniste Ray Cooper et le guitariste Davey Johnstone à participer sporadiquement à l’album. Plus grave, Il s’est séparé de son producteur fétiche, Gus Dudgeon, qui l’accompagnait depuis son deuxième album. Enfin, Bernie Taupin n’est plus de l’aventure. Le courant ne passe plus avec celui qui était son ami et parolier fétiche et chacun reprend sa liberté, Taupin collaborant avec Alice Cooper sur "From The Inside", retrouvant par la même occasion Davey Johnstone et Dee Murray.
Si la consommation de substances illicites semble doper l’inspiration de certains, comme Bowie qui peu de temps auparavant et sous l’emprise de la cocaïne offrira le superbe "Station To Station" à son public, ce n’est pas le cas d’Elton John qui l’avouera d’ailleurs quelques années plus tard. Car "A Single Man" ne contient aucun titre mémorable et l’ensemble, sans être désagréable, est convenu et sans passion.
Le disque commence pourtant plutôt bien avec une ballade mélancolique dont Elton John a le secret. Mais dès ce premier titre, on sent que l’attention se recentre autour de l’Anglais, sa voix et son piano. Les musiciens sont relégués au rôle d’accompagnateurs non autorisés à s’octroyer une quelconque liberté et l’orchestre n’est là que pour étoffer la mélodie, sans jouer le rôle de contrepoint comme cela pouvait être le cas par le passé sur ‘Madman Across The Water’ ou ‘Tonight’ par exemple.
Cette tendance à faire de tout ce qui n’est pas Elton John un luxueux fond sonore va se retrouver sur le reste de l’album. Associé souvent à des chœurs façon gospel (‘I Don't Care’, ‘Part-Time Love’, ‘Georgia’) parfois augmentés de cuivres New Orleans ('Big Dipper'), cet accompagnement donne un résultat plus proche de la grande variété américaine avec strass et paillettes que du rock des disques précédents qui, sans jamais s’approcher de celui des blousons cloutés, dégageait un autre parfum de liberté.
Pourtant, certains titres échappent encore à ce nappage pop un peu sucré. Outre ‘Shine On Through’ déjà cité, ‘Return To Paradise’ bénéficie d’un rendu exotique séduisant et il manque un rien d’énergie à ‘Madness’ pour être complètement réussi. Et si les thèmes de ‘It Ain't Gonna Be Easy’ et du très mélancolique ‘Song For Guy’ sont très beaux, ils tournent un peu en boucle, les morceaux s’étirant exagérément en longueur (le premier aurait pu être réduit de moitié et le second se voir amputé de deux minutes sans que cela gêne).
Le disque donne l’impression qu’Elton John est en pilotage automatique, composant "par réflexe" des mélodies pas inintéressantes mais auxquelles il manque la touche finale pour réellement séduire. Sans être un ratage complet, "A Single Man" se range parmi les albums médiocres dans la longue discographie de l’artiste.