Avec "Breaking Hearts" (1984), Elton John semblait avoir remis le pied à l'étrier du succès. Les critiques se sont montrées majoritairement positives et les chiffres des ventes sont repartis à la hausse. Difficile donc de comprendre que l'artiste décide de tout chambouler pour son nouvel album pour lequel il change presque tous ses musiciens et renoue avec Gus Dudgeon à la production. Ce dernier ayant été aux manettes des plus grandes réussites du Britannique, son retour a au moins l'intérêt de déclencher un certain enthousiasme et une attente auprès des fans. Pour compléter l'équipe intervenant sur ce "Ice On Fire", Elton John a également fait fonctionner son carnet d'adresses afin que de nombreuses sommités participent à son nouvel album.
C'est ainsi qu'au gré des compositions, nous découvrons Mel Gaynor (Simple Minds) assurant la batterie sur trois titres, Nik Kershaw proposant son jeu de guitare si particulier également sur trois titres, George Michael et Millie Jackson participant à des duos avec le maître des lieux, la section rythmique de Queen (John Deacon à la basse et Roger Taylor à la batterie) assurant les bases de la ballade mid-tempo 'Too Young', et même une Kiki Dee qui s'amuse à assurer plusieurs chœurs. Voilà qui fait du beau monde et prouve l'attention portée à la vitrine de cet album. Pour savoir si le contenu artistique est à la hauteur de sa brochette de participants, il faut remettre cet album dans son contexte, sous peine de le trouver cheap. En effet, le son est très ancré dans son époque (les années 80) avec des synthétiseurs omniprésents comme sur le gimmick de basse d'un 'This Town' ouvrant l'opus sur des bases funky et énergiques, ou avec les multicouches présentes sur le tube 'Nikita', sans oublier les bruitages de 'Satellite' ou les faux cuivres de 'Tell Me What The Papers Say'.
Pourtant, une fois dépassées ses sonorités, il y a ici de quoi trouver son bonheur. Il y a d'abord ces deux superbes ballades épurées que sont 'Cry To Heaven' et 'Shoot Down The Moon'. La première se révèle triste et profondément sombre avec quelques lumières blafardes sur son refrain, alors que la seconde se fait rêveuse et romantique tout en bénéficiant d'une superbe ligne de basse toute en rondeur de Pino Palladino. Il est d'ailleurs à noter que ce titre aurait dû figurer sur la bande originale du James Bond - A View To A Kill, si il n'avait pas finalement été remplacé par un titre de Duran Duran. Avec une véritable section de cuivres, 'Soul Glove ' apporte sa dose de pop accrocheuse et 'Candy By The Pound' se fait jazzy et envoûtant. Enfin, les duos 'Wrap Her Up' et 'Act Of War' rejoignent 'This Town' dans la catégorie des titres les plus énergiques de cet opus. Basé sur le format du question-réponse, le premier voit Elton John et George Michael transmettre une bonne humeur contagieuse, même si le final a tendance à s'étirer un peu avec son énumération de célébrités féminines. De son côté, 'Act Of War' se révèle être le titre le plus agressif avec une Millie Jackson carnassière et une ritournelle guitaristique obsédante.
Voilà qui, au final, donne un album varié et équilibré sans réel temps faible, même si certains titres ont du mal à résister aux affres du temps qui passe. Il n'en demeure pas moins qu'il contient quelques joyaux qui ont intégré le panthéon des titres qui excitent l'attention à chaque fois qu'ils passent à la radio, même après plusieurs décennies. Qui n'a jamais chanté le refrain de 'Nikita', hymne mélancolique contant un amour rendu impossible par la guerre froide ? Ancré dans son époque, peut-être même un peu trop pour ne pas sonner parfois un peu cheap, "Ice On Fire" n'en mérite pas moins le respect.