Contrairement à son ancien compère au sein d'un Amesoeurs trop tôt sabordé, Neige, dont Alcest est devenu une référence de l'art noir coloré de kystes shoegaze, Fursy Teyssier s'est montré plus "discret" (allusion facile !) ces dernières années, même si son activité de graphiste n'est pas à négliger. Pourtant, nous n'avons pas oublié le rock mélancolique écrit à l'encre délavée d'une vie fanée, qui suintait de "Septembre et ses dernières pensées" et de "Ariettes oubliées", jusqu'alors dernier signe de vie en 2012 de cette précieuse formation. C'est pourquoi aujourd'hui son retour avec - enfin ! - une troisième offrande que nous n'attendions presque plus, est accueilli avec la promesse masochiste de se laisser emporter par un spleen sonore qui ravivera des plaies encore à vif.
Recentré autour du duo que l'homme anime avec Audrey Hadorn depuis le départ du batteur Winterhaller trop occupé par Alcest, Les Discrets propose avec "Prédateurs" la bande-son d'un film sombre et intimiste dont le récit se déroule à l'intérieur d'un train. Chaque titre correspond à un arrêt dans un lieu que le héros observe à travers la vitre. Cette approche conceptuelle dicte la dimension fortement cinématique d'un voyage qui s'égrène en coulant le long de voies de chemin de fer, bercé par les cahots d'un wagon balayé par la pluie.
A son écoute, on imagine ces gares sinistres, hantées par des silhouettes furtives, ces paysages détrempés, hachurés d'un ciel bas. La vie défile avec son cortège de regrets et de tristesse dans la fenêtre constellée de tâches pluvieuses. Encadré par deux pistes instrumentales, l'album s'enfonce un peu plus à chaque halte dans une mélancolie épaisse et terreuse que labourent le chant émotionnel de Fursy Teyssier et des arrangements hypnotiques, cependant que la guitare cendreuse se fait tour à tour plombée ('Le Reproche) ou plus pointilliste ('Les Amis de Minuit').
Si 'Virée Nocturne', au son duquel le train se met en branle, semble léger, très vite, le ton s'obscurcit ('Vanishing Beauties') et à partir du funéraire 'Fleur des Murailles', l'opus se pare d'un tenace et désespéré linceul qui culmine lors de 'Rue Octavio Mey' d'une sourde beauté, qui voit tous les remords être convoqués sous la pluie d'une urbanité sinistre.
Si certains voyages sont interminables, ce n'est pas le cas de celui-ci qui passe au contraire trop vite, au point de sentir le besoin de rester à bord de ce train fantomatique. Ni misérable ni plaintif, "Prédateurs" trouve le ton juste, œuvre très personnelle d'une poésie introspective.