Voilà bientôt quinze ans que Triggerfinger écume les scènes européennes avec son rock stoner mâtiné de pop et de hard blues. Et le groupe fait mouche à chaque fois. Aux Vieilles Charrues, au Hellfest, en première partie des Red Hot Chili Peppers, les Anversois n’ont pas leur pareil pour embarquer le public dans leur univers. Car derrière leur look parfaitement étudié de rockeurs en costard se cachent une énergie punk et un plaisir de jouer d’une rare sincérité.
Pour leur cinquième opus "Colossus", le trio belge a décidé de se faire plaisir, d’explorer de nouveaux horizons musicaux et d’expérimenter de nouvelles sonorités. Il s’en est donné les moyens en changeant de label et en faisant appel au producteur Mitchell Froom dont on ne compte plus les références (Crowded House, Sheryl Crow, Paul McCartney, Pearl Jam, Suzanne Vega et tant d’autres).
Et le fait est que l’album surprend par son éclectisme et sa prise de risque. Le titre ‘Colossus’ ouvre les hostilités avec un riff puissant joué par deux basses. Le refrain scandé à la manière d’Iggy Pop et une mise en place rythmique irréprochable insufflent au morceau une énergie rock contagieuse. Triggerfinger excelle dans les compositions post punk aux ambiances sombres désabusées masquant à peine une salvatrice distance ironique. A ce titre ‘Flesh Tight’ et ses clins d’œil à Joy Division et ‘Upstairs Box’, très influencé par Bowie, sont de vraies réussites. Le groupe se joue des conventions et prend un soin particulier à bousculer les codes. Par exemple lorsqu’il ponctue de solos de guitare fuzz psychédéliques les morceaux les plus pop (‘Breathlessness’, ‘Bring Me Back A Live Wild One’).
Les Belges peuvent se permettre toutes les fantaisies en grande partie grâce au travail impressionnant de Ruben Block dont la voix claire légèrement soul semble modulable à souhait (‘Afterglow’). Cependant, à trop rechercher l’éclectisme à tout prix, le trio perd parfois l’auditeur en route. Ainsi ‘That’ll Be The Day’ et son côté Muse bien trop appuyé s’avère largement dispensable et ‘Steady Me’, fanfare expérimentale inspirée de Brian Eno, aurait mérité plus de concision.
Malgré cela, "Colossus" est un album intéressant pour son parti-pris ludique, son insouciance maîtrisée et ses compositions débridées. Triggerfinger s’amuse et convie l’auditeur à participer au jeu. Il serait dommage de refuser l’invitation.