Après son album le plus injustement sous-estimé ("Ice On Fire" - 1985), voici probablement le plus honni de la discographie d'Elton John. Au point que lui-même le présente comme son plus mauvais opus. Cependant, avant de tirer à boulets rouges sur ce "Leather Jackets" qui le mérite quand même un peu, il paraît indispensable de le replacer dans son contexte. En effet, à cette époque, l'artiste s'est marié avec une femme ingénieur du son nommée Renate Blauel, ce qui ne correspond pas vraiment aux penchants qu'il finira par assumer quelques années plus tard. De plus, Elton John baigne dans la drogue au point que Gus Dudgeon, qui produit à nouveau cet opus, dira plus tard que "la cocaïne lui sortait du nez et de la bouche". Tout ceci permet de mieux comprendre à quel point le génie est à la dérive, au point de s'afficher, en compagnie de ses musiciens, avec un look de biker à l'arrière de la pochette de ce disque, ce qui, là aussi, ne correspond pas vraiment à son profil.
Alors bien sûr, de nombreux artistes auraient été heureux de sortir un album du niveau de ce "Leather Jackets" qui ne contient pas vraiment de mauvais titre à proprement parler, certains étant d'ailleurs tirés des séances d'enregistrement de "Ice On Fire". L'éponyme qui ouvre les festivités est même bien rythmé et entraînant, profitant d'un bon refrain. Les ballades sont en nombre et certaines restent réussies, comme 'Gypsy Heart', soul-blues au joli solo de guitare, ou 'Slow Rivers' interprétée en duo avec Cliff Richards pour un résultat chaud et envoûtant. Enfin, composé sur des paroles de Cher, ce qui sera l'occasion d'une belle lutte d'ego avec la chanteuse, 'Don't Trust That Woman' offre une pop-funky légère et rafraîchissante avec un refrain accrocheur. Cependant, à quelques rares exceptions, rien ne se révèle non plus indispensable.
C'est d'ailleurs la raison qui rend cet opus décevant car rien ici ne semble taillé pour traverser le temps et se maintenir dans les setlists du maître des lieux qui donne parfois l'impression d'être en mode automatique, capable de maintenir un niveau respectable ('Hoop Of Fire', 'Go It Alone') mais loin de ce qu'il est capable de produire lorsqu'il s'en donne la peine. Symptomatique de cet état de fait, aucun single ne parviendra à intégrer les différents tops 50 à travers le monde, ce qui n'était pas arrivé depuis "Tumbleweed Connection", ce qui était logique pour ce dernier, étant donné qu'il n'avait proposé aucun titre à cet exercice. 'Heartache All Over The World', pop-funk légère aux sonorités cheap échouera à la 55ème place du Bilboard, 'Slow River' obtiendra un succès d'estime en Grande-Bretagne, et plus surprenant, 'Paris' tournera en boucle sur certaines radios jazz alors qu'il n'a de jazz que quelques harmonies.
Marqué par son final enchaînant trois ballades et se terminant sur un 'I Fall Apart' laissant transparaître la fatigue de l'artiste au travers de sa voix, "Leather Jackets" montre un Elton John en fin de cycle. La plupart des titres dévoilent un chanteur et compositeur en auto-pilotage, offrant un minimum qui aurait pu suffire pour nombre de ses confrères, mais qui se révèle très insuffisant pour un artiste de sa trempe. Loin de mériter l'opprobre qu'il subit depuis de nombreuses années, cet opus, comme son prédécesseur, se doit d'être replacer dans son contexte, même si, en ce qui le concerne, ceci ne suffira pas à en faire un bon album.