Derrière ce nom étrange qui évoque autant l´univers de Tolkien que de joyeux épaulards, se dissimule un duo alsacien composé d´Olivier Maurel et Samuel Klein. Le premier a travaillé au sein du laboratoire de musiques contemporaines Hanatsu Miroir, tandis que le second est un membre du PM:GONG (le groupe de Pierre Moerlen qui poursuit Gong). Tous deux sont diplômés du Conservatoire de Strasbourg, en batterie et en percussion. Avec autant d´atomes crochus, les deux larrons se devaient de former un groupe ensemble. Après un premier EP, qui balisait quelques frontières, le duo sort enfin son premier album "Orknest", fruit de longues recherches, d´expérimentations sur scène et dans les abysses du studio (comme le suggère la présente pochette orné d´une baudroie qui s´est adaptée au confort de la modernité).
Dès les premières mesures, l´auditeur sait qu´il va accomplir un voyage original, quelque part entre le King Crimson de ´Moonchild´ et les rythmiques tribales de Peter Gabriel. Ork se définit comme un groupe d´electro rock avec de longues boucles qui s´étirent et s´enrichissent progressivement - tout cela n´invitant guère à la danse, le ton de l'album étant résolument sombre. Un instrument relégué jadis à l´arrière-boutique du rock prend aujourd´hui sa revanche et vient rythmer cet album : le vibraphone. Inventé en 1916 par Hermann Winterhoff, le vibraphone a souvent fait les heures de gloire du jazz et de la musique contemporaine. Dans le rock, il s´avère plus marginal, apparaissant dans certaines formations progressives comme Gentle Giant. Le son de cet instrument, cousin du xylophone, suscite la légèreté, la rêverie. Mais ce n´est pas le moment de planer, les batteries martiales et les claviers nous retiennent au sol (´Orknest´, ´Softly Broken´, ´Cash Game´, ´Heroes´). L´album se découpe ainsi entre pesanteur et légèreté mais avec un sens aigu du mystère (´Tänzte´). Utiliser cet instrument noble dans un contexte rock n'apparaît donc pas incongru.
Pour autant, il ne s´agira aucunement d´un délire masturbatoire de deux esthètes. A cette alchimie de vibraphone et de percussions s´ajoutent les voix masculines de leurs interprètes. Pas celles de chanteurs pour femmes languissantes, mais des voix graves, vampiriques, qui nous parlent d´étranges accidents du sommeil sur l´autoroute (´Crash´) sur fond de Moog. ´Black Bow´ lorgne plutôt du côté de Gentle Giant avec son chant à deux voix et un faux calme en première partie. ´How I Feel´, le sommet de l´album, parasite la pop de l´intérieur, minant une ambiance plutôt consensuelle posée par un ukulélé au moyen de claviers lugubres qui esquissent une aura de psychopathe (´You drive me crazy´ est répété jusqu´à la lie). Le groupe utilise également des extraits sonores dans toutes les langues, évoquant un lointain concept politique, mais alors qu´ils ont choisi de chanter en anglais, l´utilisation de sources françaises reste un peu étonnant.
Dans le rock progressif actuel se détachent deux catégories : ceux qui rendent hommage à leurs aînés (ou les copient sans parcimonie) mais qui sont condamnés à faire du surplace et ceux qui ont digéré les influences et essaient de faire évoluer le genre, quitte à évoluer sous un ciel différent. Ork se situe dans cette deuxième catégorie, en prenant appui sur les percussions et le vibraphone pour nous inviter à un voyage certes lugubre mais ô combien revitalisant. Entre pesanteur et apesanteur.