Certaines formations possèdent une signature très personnelle et immédiatement reconnaissable. Les Australiens de Voyager sont assurément de cette trempe. Dès son premier album "Element V" sorti en 2003, le quintet originaire de Perth puisait dans divers styles a priori immiscibles pour en donner une interprétation originale et audacieuse. Les quatre disques qui suivirent confirmèrent l’art des combinaisons dont s’est rendu expert Voyager au fil du temps. Avec "Ghost Mile", Voyager a souhaité travailler en toute indépendance en passant par une campagne de financement participatif bouclée en une semaine !
Comme son titre l'évoque admirablement, l'écoute d'un disque de Voyager a quelque chose de l'invitation au voyage. "Ghost Mile" promet un panorama de paysages stériles et polaires baignés d'une lumière mélodique éblouissante. Ce sixième album, qui affine le travail de ses prédécesseurs, est une expérience qui bouscule les attentes tout en étant familière. La musique de Voyager se façonne sur l’association étrange mais réussie du metal moderne, principalement d'obédience progressive-djent, et de la pop new-wave. S’il est difficile de comparer le style atypique de Voyager avec d’autres artistes, les similitudes pourraient être situées quelque part entre le Devin Townsend le plus accessible, Disperse, Vola et Leprous côté metal, et Tears For Fears et Depeche Mode côté pop-rock.
Tout est contraste dans "Ghost Mile". Dans les styles déjà mentionnés mais aussi dans la capacité à varier les tonalités sombres (‘Disconnected’, le leprousien ‘Ghost Mile’) et plus solaires (‘Misery Is Only Company’, ‘Lifeline’, son intro de guitare cristalline à la Disperse et son refrain à la Tears For Fears) et à associer des arrangements éthérés et ambient avec des atmosphères ténébreuses faites de riffs de 7 cordes tranchants et lourds (‘Ascension’, ‘The Fragile Serene’) et de claviers exubérants (‘Ghost Mile’). Les compositions sont construites sur des formats classiques et facilement assimilables qui laissent la fibre progressive poindre subtilement. C’est notamment audible à l’occasion de nombreux passages plus techniques, lors de ponts, cassures rythmiques et de séquences instrumentales courtes mais d’une densité imparable (‘As The City Takes The Night’, ‘What A Wonderful Day’, la fin djent de ‘Ascension’, ‘Ghost Mile’) et dans des ascensions d’intensités émotionnelles raffinées (la très pop 80’s ‘This Gentle Earth’).
Ces formats permettent d’entrer très rapidement dans les dix titres de "Ghost Mile", qui s’égrainent sans ennui et à vive allure. La fluidité des assemblages couplets-refrains, la qualité des harmonies (le superbe et onirique interlude mid-tempo ‘To The Riverside’) et des mélodies accrocheuses se chargent de rendre l’album complètement addictif. Daniel Estrin est à saluer comme artisan de la dimension mélodique et de l’homogénéité de "Ghost Mile". Son timbre, dans un genre ambigu avec une forte composante gothique et pop, et ses prestations uniques d’ampleur et de relief (la réverbération contribue grandement à remplir l’espace de sa voix) incarnent le liant qui apporte sa cohérence et son identité aux morceaux (‘Misery Is Only Company’ dont la pureté des chants rappelle une fois de plus Tears For Fears, ‘As The City Takes The Night’).
En 44 minutes, "Ghost Mile" synthètise l’essentiel des qualités de Voyager dans dix morceaux tous réussis. Difficile dans ces conditions de trouver des faiblesses à cet album qui, en plus, bénéficie d’une production soignée qui renforce le rendu sonore à la fois clair, précis, massif et presque chirurgical. Avec leur choix d’indépendance artistique et financière, les Australiens n’optent pas pour la même efficacité de diffusion que s’ils étaient attachés à un label. Souhaitons-leur qu’avec ce splendide "Ghost Mile", sans doute l’une de leurs meilleures réalisations et déjà l’un des grands disques de cette année, ils atteignent la reconnaissance qu’ils méritent.