Mine de rien et exception (bien) faite de "Transcendance", EP enfanté en 2016, maigre de trois titres dont une reprise du 'Pagan Fears' de Mayhem, cela faisait presque quatre ans - une éternité à l'heure de la musique instantanée et d'Internet - que les Belges n'avaient pas donné signe de mort (plutôt que de vie), depuis un "Blessed Extinction" qui confirmait le potentiel défloré par "A Place To Call My Unknown". En l'espace de quelques années, Cult Of Erinyes a su néanmoins inscrire son nom dans la roche tranchante d'un art noir froid et malsain, viscéral et mortifère, expliquant pourquoi son troisième opus longue durée était attendu comme un messie tellurique, promesse d'un périple sans espoir de retour dans les abîmes de l'indicible.
A l'écoute de "Tiberivs", on mesure très vite combien le duo Corvus / Mastema (Baal, le batteur, ayant quitté la formation l'an dernier) a eu raison de prendre son temps, peaufinant un rituel noir dont on voit mal comment il ne pourrait pas définitivement offrir à ses créateurs la place qui leur revient, parmi les premières bien évidemment. Si la contribution de nombreux invités venus les épauler , dont le bassiste Alex aka Phil A Cirone (Hypothermia, Shining) et surtout l'aussi talentueux qu'ubiquiste Déhà, présent derrière les fûts et la console (entre autres), n'est pas étrangère à une réussite que nous n'attendions pas à un tel niveau, il n'en demeure pas moins que jamais l'inspiration des deux musiciens ne s'est dressée avec un telle monstrueuse fermeté, hampe tentaculaire gonflée d'une sève crépusculaire et nocive.
Ancré dans le substrat géographique abrupt et sévère qui l'a vu naître, le black metal sculpté par les Belges prend une autre dimension, plus personnelle et funèbre, grâce à ce concept-album basé comme son titre le laisse deviner, sur la vie de Tibère, deuxième empereur romain qui a la lourde tâche de succéder à Auguste dans un règne controversé débouchant sur la folie et la mort. Déchaîné et tumultueux, le menu épouse les grandes étapes de ce parcours tour à tour féroce ('Nero (Divine Providence') ou funèbre ('Bred Of War' dont les ultimes mesures très progressives évoquent Opeth), souvent immersif ('Loner'), brillant toujours d'une beauté glaciale et souterraine. Chaque piste est écrite à l'encre d'une émotion, d'un sentiment particulier, ce qui confère à chacune d'entre elles une teinte différente dans un spectre toutefois extrêmement sombre.
S'il doit être abordé dans son unité abrasive, "Tiberivs" gagne toutefois peu à peu en intensité, culminant lors d'une seconde partie plus évolutive et funéraire quoique toujours torrentielle, qu'incarnent les gigantesques 'Germanicvs', que cisaillent des riffs sinistres, 'Damnatio Memoriae', d'une lenteur viciée et rampante et plus encore le terminal 'For Centuries To Come' qui étire sur onze minutes une démence aussi hallucinée que mortuaire.
Alors qu'il en est à l'origine, cet album marque la fin de la collaboration entre Corvus et Masterna, celui-ci ayant décidé de quitter le groupe, remplacé désormais par Déhà. Il laisse avec Cult Of Erinyes un testament d'une noirceur insondable et d'une force émotionnelle pétrifiée, aux allures d'aboutissement, concept-album aussi furieux que caverneux.