Comity est un groupe culte, de la scène hardcore / noise / grind / crust (appelez cela comme vous voulez) et ses créations attendues comme des messies doloristes, d'autant plus qu'elles se font de plus en plus rares. La semence aussi hargneuse que mortifère que crachent les Français se mérite, et nombreux sont ceux qui trouveront que celle-ci n'a que le goût du chaos. Ce qui n'est pas tout à fait faux. Mais comme le (bon) vin, elle doit rester longtemps en bouche pour que ses arômes puissent se dévoiler, comme le confirme à nouveau "A Long, Eternal Fall".
Si son titre ne laisse planer aucun doute quant à la négativité de sa teneur, sa noirceur goudronneuse se démultiplie à l'infini en un dédale vertigineux dont l'issue demeure inconnue, faisant de lui plus qu'un simple coup de massue dans la figure. Là réside, depuis toujours, la force des Parisiens dont la violence épileptique, enrobée dans un fuselage le plus authentique possible, est mise au service d'une complexité abyssale. A l'instar de son aîné, "The Journey Is Over Now", cet opus enchaîne des pistes anonymes (seul un numéro les identifie), huit au total, ce qui ne facilite pas, loin s'en faut, sa pénétration. Et après, une entame instrumentale que vrille un riff corrosif qui tourne et se répète avant de lancer la bête rugissante, les titres se succèdent en un magma bouillonnant de haine dont les limites semblent incertaines.
De fait, on ne retient tout d'abord pas grand-chose de cette brutalité qui déferle avec une puissance torrentielle, si ce n'est une tension dont le pouls est constamment au bord de la rupture. L'extrême densité de ces pulsations aux allures de plaques tectoniques qui se chevauchent, s'affrontent, s'accouplent en une stratigraphie compliquée, achève de faire de leur défloration un viol sévère et traumatisant dont on ne sort pas indemne, les muqueuses en sang, lacérées, déchirées, écartelées.
Et grande est alors la tentation d'abandonner, de tout laisser tomber. Mais fidèles de cet hardcore tuméfié, nous savons qu'il faut persévérer pour venir à bout de ce bloc de matière brute dont la richesse se niche dans les profondeurs obscures d'une intimité ferrugineuse à laquelle mène un tunnel labyrinthique. Et peu à peu, "A Long, Eternal Fall" commence à s'ouvrir, à écarter ses lèvres, entre ce chant atrabilaire et cette rythmique convulsive, grâce à ces guitares dissonantes et polluées, tendues comme un string, qui dressent leur dard chargés d'un nihilisme poisseux brillant d'un éclat malsain. Exigeant et définitif, cet album creuse de purulents stigmates dans la peau.
Vouloir le décrire par le menu semble terriblement vain car il doit être vécu dans sa globalité survoltée et pourtant riche de nuances souterraines. Ce faisant, Comity franchit un palier supplémentaire dans la démesure d'une violence millimétrée qui débouche les orifices avec l'efficacité de la chaux vive. Les habitués seront comblés, déjà prêts à tendre l'autre joue, les autres peuvent passer leur chemin, nous ne les retiendrons pas...