Elton John semble avoir repris goût au succès avec son album précédent, "Too Low For Zero". Quoi de plus normal ? Aussi celui-ci décide-t-il de tout mettre en œuvre pour que son dix-huitième album studio lui apporte la même sensation grisante, faisant prendre pour l’occasion à sa carrière un tournant, ou du moins une inflexion, la menant de la voie sacrée du rock à celle de la pop.
Où se situe la frontière entre le rock et la pop ? Celle-ci est parfois bien difficile à définir et Elton John l’a régulièrement franchie dans ses derniers albums. Pop dérivant de populaire, en quoi le rock ne pourrait-il pas être populaire ? Néanmoins, on peut avancer que le rock contient en lui un esprit rebelle, cherchant à surprendre son public, voire à le choquer, là où la pop va au contraire essayer d’être la plus consensuelle possible en utilisant des recettes éprouvées qui plairont au plus grand nombre sans jamais effaroucher.
Et il faudrait être bien pusillanime pour s’effaroucher à l’écoute de "Breaking Hearts". Sa première face se partage entre quatre rocks mid-tempo bien fades qui essayent, sans y parvenir, de surfer sur la vague de ce qui avait contribué au succès de ‘I’m Still Standing’ et une ballade (le titre éponyme) honorable sans plus. Les choses sérieuses commencent avec le surprenant et sympathique reggae de ‘Passengers’. Signe des temps, ce titre, le plus original de l’album, est le seul pour lequel le duo John/Taupin s’est fait aider à la composition. Suivent deux ballades, ‘In Neon’ à classer dans les demi-réussites et ‘Burning Buildings’ sur laquelle Elton John retrouve des accents propres à faire naître l’émotion chez l’auditeur. ‘Did He Shoot Her’ est un rock entraînant à qui un sitar apporte une étrange touche orientale et précède le tube de l’album, ‘Sad Songs’, une ballade mid-tempo un brin répétitive mais dont le thème entre facilement en tête de ce fait.
Pour servir ce menu sans piment mais aussi sans arête, Elton John est entouré de sa fidèle garde rapprochée, reléguée au rang de musiciens de studio : la rythmique est binaire, se contentant de marquer les temps, les guitares sont présentes mais n’ont guère le droit de s’exprimer en solo et les claviers sont discrets à en être transparents. Tout est au service du chant, centre d’intérêt de toutes ces "petites" chansons agréables mais sans surprise.
Au final, "Breaking Hearts" se révèle un album un peu trop lisse et consensuel. Difficile d’avoir un coup de cœur ou un coup de gueule pour ou contre l’un des titres de ce disque. A vouloir plaire au plus grand nombre, Elton John a gommé les petites aspérités qui faisaient le charme de ses grands albums, livrant une œuvre mineure dans sa longue discographie.