Trois ans entre deux albums : voilà qui est particulièrement exceptionnel pour Elton John. Après le succès artistique et commercial de "Slepping With The Past" (1989), la carrière de l'artiste semblait être relancée sur de bons rails, mais seule la version live de 'Don't Let The Sun Go Down On Me', en duo avec George Michael, est venue briser le silence discographique du Britannique en 1991. En réalité, ce délai entre deux opus est essentiellement dû au fait qu'Elton John a décidé de faire face à ses démons en se désintoxiquant de plusieurs addictions telles que la drogue et la boulimie. Il a également décidé d'assumer son homosexualité malgré les témoignages d'intolérance d'une partie de son public. C'est donc un homme neuf qui revient en 1992 avec un album dédié à son ami Vance Buck, décédé du sida en début d'année. A noter également les ornements de la pochette réalisés par Gianni Versace, grand ami du chanteur.
Enregistré à Paris, "The One" bénéficie d'une production à la fois ample et relativement froide avec des titres s'étirant la plupart du temps au-delà des cinq minutes pour laisser la possibilité de se développer à de nombreux soli. Epaulé par son fidèle guitariste Davey Johnstone et par quelques invités de marque, Elton John rappelle ici qu'il est un sacré pianiste. S'il s'offre quelques jolis duels avec Eric Clapton sur un 'Runaway Train' bien rock, c'est plutôt sur les fins de titres qu'il préfère se lâcher. Le titre éponyme, ballade imparable au refrain inoubliable, bénéficie ainsi d'une mélodie envoûtante, alors que sur le countrysant 'Whitewash County', c'est un piano bastringue qui vient clôturer l'ensemble. Quant au jazzy et urbain 'Sweat It Out', il offre un solo final véloce et lumineux alors que de son côté, Davey Johnstone utilise de nombreux effets aériens et plaintifs. Les sonorités des claviers sont variées et traduisent parfaitement les ambiances de chaque titre, allant même jusqu'à imiter un harmonica sur 'Simple Life' ou un violon sur 'Whitewash County'.
Mais si "The One" offre de nouvelles pépites au répertoire de la légende britannique, il s'essouffle sur sa seconde partie en enchaînant les titres agréables mais non indispensables. Seuls les superbes solos de David Gilmour sur 'Understanding Women' et 'The Last Song' font office d'éclaircies dans un ensemble tout juste moyen. Titre conclusif, 'The Last Song' est une ballade poignante interprétée seulement au chant et au piano avec quelques légères nappes de synthétiseurs. Délicate et émouvante, elle traite de la fin de vie d'un jeune homme atteint du sida et épaulé par son père. Difficile de ne pas y voir un hommage à Freddie Mercury décédé l'année précédente. La pureté et la mélancolie de cette chanson permettent à cet opus de se refermer sur un a priori aussi positif que celui procuré par les premiers titres, mais il n'efface cependant pas le goût d'inachevé laissé par une seconde partie plutôt moyenne.
Peut-être encore marqué par ses cures de désintoxication et par les décès de plusieurs amis, Elton John semble ne pas avoir réussi à doser son effort, alternant quelques nouveaux joyaux mélodiques et émotionnels avec d'autres titres dispensables. Ces derniers n'empêcheront pas "The One" d'être un nouveau succès commercial porté par un choix de singles judicieux. Pourtant, cet album inégal représente un léger recul par rapport à son prédécesseur, même si le talent d'Elton John est tel qu'il faut relativiser ce que peut être un album moyen de sa discographie par rapport à de nombreuses parutions qui ne leur arrivent souvent pas à la cheville.