Certains disent qu’il est mort assassiné en 1899. Mais depuis 2011, Rufus Bellefleur, le fantôme du Bayou, revient tous les trois ans hanter l’écran noir de nos nuits blanches, pour notre plus grand plaisir de musicophage goulu. Né de l’imagination fertile du compositeur Youssef Dassouli et incarné au chant et sur scène par Julien Cassarino (Psykup), le redneck psychopathe vient de commettre son troisième méfait, "Electricity For The Coliseum". Et les temps modernes sont durs pour Rufus qui quitte sa Louisiane natale en pleine crise de 1929 pour aller cueillir dans une grande mégapole les raisins de sa colère.
Dire que l’univers du groupe Rufus Bellefleur est référencé relève de l’euphémisme. Nourris de culture populaire américaine, de bande dessinée et de cinéma de genre, les Toulousains rendent hommage à Hollywood dès le premier titre (‘Intro’) et écrivent la bande originale de leur film déjanté sur fond de Grande Dépression, alternant légèreté et noirceur et évoquant aussi bien Chaplin (‘Iron Snake’) que Boris Karloff (‘Ghost Criminal’).
C’est d’ailleurs bien ce mélange des genres décomplexé qui fonde la musique de Rufus Bellefleur. Construit sur un terreau fertile de hip hop et de musique cajun, le groupe a toujours su pimenter leur jambalaya musical de pop et de funk, alternant le rural et l’urbain, les machines et les instruments vintage, le chant parfois rap de Julien et les chœurs minaudant des girls 1 et 2 (Bérengère Sentex et Caroline Petriz).
"Electricity For The Coliseum" ne déroge pas à cette règle du métissage des influences mais la musique du combo évolue vers un son plus rock et plus brut. Toujours adepte du dobro et du banjo (‘Love With A Machine Gun’, ‘Money Can Buy’, ‘Boogeyman’), Youssef Dassouli a l’idée géniale de ressortir la guitare Cigar Box des granges poussiéreuses de Montrouge. Instrument emblématique du blues fauché des années trente, la boite à cigare transformé en guitare slide est ici utilisée en son distordu et apporte aux riffs les couleurs du blues industriel (‘Iron Snake’, ‘Great Is My Depression’, ‘Wrong Direction’). L’originalité débridée de Rufus Bellefleur doit d’ailleurs autant au talent de son principal compositeur qu’à celui de son chanteur. En effet Julien Cassarino fait corps avec son personnage et adapte sans cesse son chant à l’éclectisme de la musique du combo, alternant les phrasés rap (‘The Exorcism Of Danny DeVito), les refrains pop (‘The Lemonade Gang’) et les clins d’œil à Mickael Jackson (‘Ghost Criminal’) et à Prince ((The Night’).
Avec "Electricity For The Coliseum", Rufus Bellefleur nous offre l’opus original et débridé que chacun était en droit d’attendre, parfaitement produit et toujours parcouru de la folie maîtrisée propre au groupe. Et en clôturant l’album avec ‘In Between Two Wars’, titre rock alternatif surprenant et presque hors sujet, Rufus délivre un ultime clin d’œil à l’auditeur, lui promettant que le fantôme du bayou n’a sans doute pas fini de les hanter.