Malgré ce que son nom pourrait peut-être laisser croire, Deliverance n'est pas un énième clone de Opeth mais l'explorateur des abîmes les plus effrayants de l'âme humaine. S'il ne partage bien entendu rien avec les Suédois, ce simple mot qui sert à l'identifier pose déjà un cadre, qu'on devine noir et torturé, il suggère un univers inquiétant. Forcément inquiétant. Son premier signe de mort longue durée, préparé il y a presque quatre ans par "Doomsday, Please", opuscule dont la noirceur suffocante avait déjà laissé des traces dans la peau des flagellants que nous sommes, est baptisé "Chrst". Son orthographe suffit elle aussi à perturber une immersion riche en promesses mortifères.
Oubliez le pedigree rassurant de ses principaux créateurs, Aqme pour Etienne Sarthou et Memories Of A Dead Men pour Pierre Duneau, assurance d'une force visionnaire et d'une exigence technique mais rien de plus, car cette entité encore mystérieuse balaie à grands coups de riffs glacials comme la roche en hiver des références qui paraissent bien lisses en comparaison de l'apocalypse qui couve dans la panse ténébreuse de cet opus tentaculaire aux allures de dédale humide, jonché d'images maladives, secoué par les spasmes d'une négativité qui prolifère par grappes morbides se répandant dans ces corridors tortueux, laissant derrière elles une traînée malsaine. Inoculant leur poison avec une macabre lancinance, ces pulsations reptiliennes raclent la chair à la manière d'un scalpel trempé dans une rouille lépreuse.
Mais Deliverance, qu'est-ce que c'est exactement, peuvent s'interroger ceux qui ne le connaissent pas encore ? Vouloir le rattacher à un genre en particulier ne présente pas un grand intérêt car son art franchit les frontières et serpente le long d'un terrain ravagé où se chevauchent nombre de couches sonores. S'il est commode sinon tentant de simplement l'arrimer au black metal dans lequel il puise certes sa froideur abyssale (ac)couplée à une décrépitude morbide, on perçoit cependant très vite que la créature lime le genre pour en extraire le suc malfaisant auquel elle injecte les miasmes d'un sludge apocalyptique et d'un death corrosif.
Comme frotté avec du papier de verre, le chant a quelque chose d'un égout crachant une écume bouillonnant de haine venant poisser les parois tranchantes de ces pièces engluées par un souffle désincarné ('The Discrucified'). D'une durée conséquente, celles-ci vibrent sous les coups de boutoir de guitares aux allures de burin dissonant ('Out Of The Saddening Blank'), taillées dans les fjords norvégiens ('Across Gehenna'). Avec un plaisir vicieux, le groupe joue sur une multitude de temporalités. Aux côtés de ces angles morts et de ces instants comme suspendus dans le temps au-dessus d'un abîme indicible se découpent dans l'obscurité des images fiévreuses, témoin ce 'Hung Be The Heavens With…', aussi rampant que malsain.
Passant rarement la seconde, sauf le temps de 'A Bone Shall Not Be Broken' que perforent toutefois de vertigineuses cavités, Deliverance préfère serrer le frein à main pour s'enfoncer corps et (surtout) âme dans les replis tortueux laissant échapper un suint sinistre et néanmoins fascinant. Immersif et convulsif, "Chrst" est une gemme noire qui vous hante longtemps après que son écoute se soit achevée.