Une fois n’est pas coutume, commençons par un (petit) coup de gueule : force est de constater que le rock progressif est un label que l’on donne trop souvent à des formations, dès lors que celles-ci sortent légèrement du schéma couplet-refrain ou qu’elles étalent leurs morceaux sur plus de 7 ou 8 minutes, alors que leur musique n’a rien de "progressif". Entendre par là qu’elles n’introduisent aucun progrès ni aucune progression, au choix.
Aussi la sortie du nouvel opus de Kotebel après cinq années de silence studio est assurément une bonne nouvelle. Car, contrairement à ces groupes qui nous font du rock progressif à ce point stéréotypé qu’il est impossible de distinguer qui est qui, le combo espagnol a toujours fait preuve d’une personnalité qui lui permet de se faire reconnaître sans coup férir dans n’importe quel blind test. Ce grâce à des compositions originales tirant le meilleur parti possible de la musique classique, du jazz, du folklore sud-américain et, bien sûr, du rock.
Entièrement instrumental, comme c’est désormais le cas depuis le départ de sa chanteuse, Carolina Prieta, après "Omphalos", l’album voit le retour du flûtiste Omar Acosta (qui avait quitté Kotebel à la même époque) en tant qu’invité sur quatre titres. La présence de la flûte d’Acosta est un réel plus, la complexité de la musique de Kotebel ne pouvant que bénéficier d’un élargissement de la palette de ses instruments. Elle contribue au bel équilibre entre instruments acoustiques (flûte et piano) et électriques/numériques (guitare et synthés), arbitré par un accompagnement rythmique présent, puissant mais jamais envahissant.
La musique est complexe sans être absconse et réserve souvent à l’auditeur des passages fort mélodieux (la flûte mélancolique de ‘Post Ignem’, les effets de vagues de ‘Oneness’), ce qui n’exclut pas quelques moments plus grinçants, comme sur l’agressif et répétitif ‘Mechanical Universe’ proche de l’indus. Le rythme est généralement vif et enlevé même si Kotebel sait réserver à l’auditeur des passages plus contemplatifs ou rêveurs, pour mieux repartir sur un tempo échevelé. Dans la grande tradition progressive, Kotebel multiplie les changements de thèmes (‘Post Ignem’, ‘Entangled Universe’) ou au contraire développe un même thème en y introduisant de multiples variations (‘Geocentric Universe’, ‘Oneness’) avec le même bonheur.
"Cosmology" contient une suite, la 'Cosmology Suite', composée de quatre mouvements, chacun représentant une vision de l’univers. ‘Geocentric Universe’ décrit un univers où la terre en serait le centre et Dieu une entité anthropomorphique, ‘Mechanical Universe’ parle de l’univers comme d'une machine complexe où tous les éléments interagissent entre eux et où Dieu n’existe pas, ‘Entangled Universe’ est l’univers où tous les êtres pensants sont connectés entre eux, comme enchevêtrés, enfin dans ‘Oneness’, les humains ne font qu’un, comme les vagues dans la mer. Outre leur caractère cinématographique, notamment ‘Mechanical Universe’ et ‘Oneness’, ces morceaux, par la thématique qui les unit, atteignent une grande cohérence de ton, à laquelle participe l’introductif ‘Post Ignem’.
Malheureusement, comme souvent, le groupe a voulu être (trop) généreux, ce qui dessert un peu l’album, les derniers titres, moins intéressants, rompant le caractère homogène atteint par leurs prédécesseurs. L’album aurait pu (dû ?) s’arrêter avant ‘Mishima’s Dream’ ou, à la rigueur, inclure celui-ci mais sans lui laisser le rôle de finir l’album, ce morceau s’avérant un peu trop rugueux et insaisissable pour être un bon final. Les trois derniers titres rompent avec l’ensemble par la relative linéarité de leur mélodie. Sans être désagréables, leur regroupement en fin d’album crée à la fois un trop grand contraste et une certaine lassitude.
Cela n’empêche en rien "Cosmology" d’être un bel album porteur d’une musique audacieuse et inventive comme il serait agréable d’en entendre plus souvent dans le monde du progressif. Et, une fois n’est pas coutume (admirez l’épanadiplose), je me permettrai d’exprimer un souhait auprès de Kotebel : après le retour d’Omar Acosta, à quand celui de Carolina Prieto ?