A trop vouloir jouer la carte de la douceur, "The Big Picture" (1997) a fini par se révéler être un album trop linéaire et alourdi par une production trop riche. Heureusement, depuis "Sleeping With The Past" (1989), Elton John a abandonné son rythme de parution discographique annuelle, ce qui lui laisse plus de temps pour analyser les réactions provoquées par ses derniers albums. Pour son premier opus du 21ème siècle, et quatre années après son œuvre précédente, l'artiste semble avoir retenu la leçon pour revenir à des compositions à la fois plus épurées et plus profondes. Dédié à la mémoire d'Oliver Johnstone, fils cadet du guitariste, tragiquement disparu, et de Matthew Shepard, jeune étudiant gay assassiné en raison de son homosexualité, "Songs From The West Coast" ressemble à un retour vers les valeurs qui avaient fait le succès des albums des années 70. Comme son nom l'indique, il est également un hommage à la musique de la côte ouest des Etats-Unis.
Dès le premier titre ('The Emperor's New Clothes'), le ton est donné avec une ouverture simplement exécutée par un duo chant - piano. La suite évolue vers un mid-tempo rythmé et monte doucement en intensité avec l'arrivée des autres instruments, mais le principe va être renouvelé sur la quasi-totalité des chansons de l'album. Les claviers des années 80 et 90 sont enfin abandonnés pour un résultat plus authentique et organique. L'émotion est plus profonde et sincère, les paroles de Bernie Taupin n'hésitant pas livrer les sentiments de son compère interprète. Il est d'ailleurs amusant de constater que pour les vidéos de titres aux paroles très personnelles tels que 'I Want Love' ou 'This Train Don't Stop Here Anymore', le rôle d'Elton John a été confié à des acteurs, permettant ainsi à l'artiste de garder un peu de réserve. Que cela soit pour Robert Downey Jr. ('I Want Love') ou Justin Timberlake ('This Train Don't Stop Here Anymore'), il est à noter la retenue des interprétations renforçant la sensibilité des titres.
Sous un air léger et décontracté, 'Look Ma, No Hands' n'en traduit pas moins une certaine mélancolie, sentiment récurrent sur de nombreux titres, jumelée à des atmosphères très américaines. Ces dernières sont souvent mises en place grâce à la présence de lignes de cordes discrètes ('Ballad Of The Boy In Red Shoes', 'Mansfield'), mais également avec une guitare folk plus présente ('Original Sin', 'Love Her Like Me'), quand 'Birds' bascule franchement vers une country fraîche et entraînante. Revenant sur le meurtre de Matthew Shepard, 'American Triangle' profite des chœurs assurés par Rufus Wainwright pour intensifier l'émotion. A l'opposé, 'Dark Diamond' voit Stevie Wonder dégainer ses célèbres clavinet et harmonica pour renforcer l'humeur enjouée et accrocheuse de ce titre. Enfin, sur 'The Wasteland', Elton John vient rappeler qu'il sait ce qu'est un véritable gros blues et en profite pour offrir un des excellents soli de piano qui parsèment cet album.
Après un opus en demi-teinte, la légende britannique a eu raison de prendre son temps pour livrer une de ses œuvres les plus abouties. En réussissant à retrouver les valeurs qui avaient fait son succès dans les années 70, tout en gardant une approche ancrée dans son époque, il offre une collection de titres variés dont la profondeur des émotions et la sincérité renforcent la cohérence. Les légendes ne meurent jamais mais elles ont parfois leurs moments de faiblesses. En se livrant sans se mettre en spectacle, Elton John prouve que, s'il est toujours une légende qui sait se remettre en question, il est également un être humain à la sensibilité et au talent hors du commun.