Offrir une suite à un album devenu au fil du temps une pierre angulaire de sa discographie n'est jamais chose aisée. Grand est alors le risque de décevoir et plus encore lorsqu'une vingtaine d'années séparent les deux segments, comme c'est le cas de "Till Fjälls" que Vintersorg a décidé aujourd'hui de compléter par un second chapitre.
Si, eu égard à la constante exigence qui caractérise le Suédois, la qualité ne peut qu'être au rendez-vous, force est reconnaître que cette décision n'était pourtant pas pour nous rassurer totalement car ce genre d'entreprise cache souvent une panne d'inspiration sinon la volonté de capitaliser à moindre frais sur un succès qu'il est tentant de chercher à reproduire. Le fait que la musique du groupe a considérablement évolué depuis ses débuts, se montrant de plus en plus alambiquée, ne facilitait qui plus est pas ce retour aux sources.
Gravé en 1998, "Till Fjälls" évoque toujours beaucoup de souvenirs chez tous ceux qui ont vécu l'explosion commerciale du metal extrême dans la seconde moitié des années 90. Bref, nous craignions que vouloir capter à nouveau cette atmosphère très particulière où l'insouciance se mêlait à une forme de majesté mythologique se solde par un échec artistique même relatif. C'était sans compter sur l'inoxydable talent de Vintersorg, l'homme, qui n'a pas pour habitude de se compromettre dans des projets d'une valeur douteuse.
S'il ne renoue pas tout fait avec la simplicité qui l'animait lors de ce premier rot, ce dont témoignent autant la durée pantagruélique de l'épopée, longue de 75 minutes réparties sur deux CD, que son ampleur sonore et instrumentale loin des balbutiements techniques d'autrefois qui participaient néanmoins de ce charme artisanal mais pas bricolé, le groupe réussit pourtant à se rapprocher du style qui était le sien il y a vingt ans, plus dépouillé et abrasif bien que toujours très mélodique et puisant son inspiration dans un humus folklorique ténébreux.
A la fois foisonnant et limpide, direct et solennel, "Till Fjälls, Del II" mérite cependant nombre d'écoutes pour en goûter toute la richesse qui jaillit peu à peu en une coulée flamboyante qui emporte tout sur son passage. Mettant de côté ses velléités progressives, Andreas Hedlund met l'accent sur les atours les plus tranchants de son art même s'il alterne toujours avec brio les growls furieux et les geysers lumineux que sa voix claire enivrante, qui procure toujours de délicieux frissons, perce dans la roche de ces fjords gigantesques qui se dressent avec puissance dans une nuit glaciale et enflammée.
Colorés de pigments acoustiques ('Obygdens Pionjär' dont les arpèges sont beaux comme un chat qui dort) et envoûtés par des chœurs vikings ('Lavin), ces titres cavalent à travers des reliefs grandioses aussi abrupts qu'épiques. Certains sont même les plus black que les Suédois aient enfantés depuis longtemps, à l'image de 'Fjällets Mäktiga Mur', qui gronde d'une force volcanique. Mais, vibrant d'une ambivalence rageuse, tous reposent sur l'équilibre entre traits granitiques et ambiances galvanisantes, entre ténèbres et clarté. Creusées par les sillons solaires de guitares entêtantes, ces compos brillent de mille feux, torrents charriant des mélodies majestueuses qui tissent dans l'imaginaire de fascinantes images gelées par le souffle du Grand Nord.
Trop longue peut-être, il n'en demeure pas moins que cette suite se hisse à la hauteur de son aînée grâce aux nombreux hymnes ('Jökelväktaren', 'En Väldig Isvidds Karga Dräkt'...) qui parsèment son riche menu, faisant d'elle une des meilleures offrandes de Vintersorg, le groupe aussi bien que l'homme, même si "Cosmic Genesis" restera à jamais le Valhalla de sa carrière. D'une emphase épique, "Till Fjälls, Del II" allie à la fois la simplicité de son devancier et la puissance technique des derniers albums.