Mine de rien, si l’on considère "Green Naugahyde” comme leur dernier album original en date (le “Primus & the Chocolate Factory with the Fungi Ensemble” de 2014 est une adaptation de l’œuvre musicale du film “Willy Wonka & the Chocolate Factory”), cela faisait sept ans que Primus ne nous avait pas comblé avec de nouveaux morceaux. Depuis “Antipop” en 1999, les Californiens ont publié de manière sporadique un seul nouveau disque, "Green Naugahyde", deux EP et trois DVD. C’est donc une satisfaction de pouvoir entendre le trio génial emmené par le doux dingue Les Claypool dans sa configuration originelle avec Larry LaLonde à la guitare et Tim Alexander aux fûts pour un neuvième album intitulé “The Desaturating Seven”.
“The Desaturating Seven” est l’aboutissement d’une vieille idée qui trotte dans le cerveau toujours en ébullition de Les Claypool depuis le moment où il a découvert le livre illustré datant de 1978 “The Rainbow Goblins” d’Ul de Rico qu’il lisait à ses enfants. C’est l'ouvrage qui a inspiré ce court mais dense “The Desaturating Seven” découpé en sept chapitres et abordant les méfaits des sept gobelins dévoreurs d’arc-en-ciel qu'on pourrait parfaitement transposer en critique de l’avidité humaine moderne. La construction de l'album suit le déroulement typique de ce genre de conte avec l’incipit narré qui pose le contexte de l’histoire (‘The Valley’), le cœur de l’aventure et la conclusion de la fable qui peut se lire sous forme de petite morale (‘The End ?’).
Côté musique c’est du Primus pur jus d'excentricité et de fusion des genres avec toujours cette approche rythmique fondamentale. Si le degré de difficulté à pénétrer l'univers si unique de Primus a été variable selon les albums, aisé dans "Sailing the Seas of Cheese" et ardu dans "Pork Soda", “The Desaturating Seven” pourrait être placé dans la catégorie intermédiaire. Parmi les morceaux les plus abordables, citons le jovial 'The Seven' à la mélodie entraînante et au final crimsonien ou le funky et immédiat 'The Scheme'. 'The Dream' est une exigeante et lente montée qui ennuie plus qu'elle n'emporte, faite de structures cycliques et étourdissantes dans lesquelles bruitages et dissonances sont dominants. Entre ces deux modalités, 'The Trek' et 'The Storm' apparaissent comme les synthèses les plus originales avec leurs ambiances interlopes, leurs chants maniérés entre Zappa et The Residents, leurs basses hypnotiques et leur groove vivifiant.
“The Desaturating Seven” n'est paradoxalement pas l'album à conseiller pour aborder la musique si singulière de Primus car dans son aspiration à vouloir embrasser la diversité il ne parvient pas à atteindre le même niveau d'intensité et de profondeur de ses glorieux devanciers. En jouant sur des contrastes trop abrupts faisant de “The Desaturating Seven” une œuvre à la fois hermétique et légère Primus n'atteint ni la cohérence ni l'unité. Au mieux peut-il donner quelques éléments permettant de savoir de quoi il retourne. Dans les deux cas, que l'auditeur adhère ou qu'il abhorre, il est néanmoins conseillé de ne pas s'y arrêter car Primus représente bien plus que ce dont “The Desaturating Seven” est porteur.