Les ajustements dans la direction artistique d'Amplifier ont été si nombreux qu'il est difficile d'avoir une idée préconçue de ce qui attend l'auditeur à chaque nouvelle réalisation. Tout juste pouvons-nous affirmer qu'avec "Mystoria" les Anglais renouaient avec l'énergie de leurs premiers albums en prenant une heureuse distance avec la recette décevante d'"Echo Street". Pour cette sixième livraison qui sort sur le label de Sel Balamir, Rockosmos, les Mancuniens attisent encore un peu plus la curiosité par l'intermédiaire d'un titre d'album énigmatique "Trippin' With Dr. Faustus" et d'une pochette non moins surprenante.
Sans que l’auditeur ait besoin de vendre son âme au diable pour réaliser son rêve d’entendre Amplifier revenir à la même qualité que leurs trois premières réalisations, "Trippin' With Dr. Faustus" comble admirablement les attentes avec un disque qui pourrait être le chaînon manquant entre "Insider" et "The Octopus". D’autant que le titre ‘Silvio’, qui a servi de point de départ pour l’ensemble du disque, a été composé en 2011 dans les sessions pour garnir "The Octopus". Au contraire des deux précédents albums dont la réalisation privilégiait la prise instantanée et intuitive, "Trippin' With Dr. Faustus" est le fruit de plusieurs mois d’un travail de précision mais aussi fortement artisanal, car enregistré initialement sur un vieux multi-piste Otari à bandes. Cet album réussit à combiner idéalement l’écriture directe et brute que l’on retrouve dans le deuxième album des Anglais avec la densité et la consistance épique de son très progressif double-album conceptuel. Amplifier aboutit à un tel résultat en maîtrisant de bout en bout l’évolution de ses compositions et en variant notablement leurs caractéristiques.
Parmi les compositions les plus progressives il y a les formats stratifiés de l’époustouflant premier morceau ‘Rainbow Machine’ aux couplets et refrains qui se mélangent au point de brouiller le rôle endossé par chacun d’eux et du psychédélique ‘Freakzone’ qui s’amuse à dilater le temps pour accueillir un très bon solo tout en finesse et feeling. 'Kosmos (Grooves Of Triumph)' et 'The Commotion (Big Time Party Maker)' trompent l'auditeur avec des constructions d'approche linéaire mais qui s'avèrent bien plutôt cycliques. Ce mirage résulte de la combinaison entre des tempi lents et écrasés et la répétition en boucle d'un riff hyper efficace créant une impression d'étourdissement. Ces deux morceaux sont rendus addictifs grâce aux qualités mélodiques et surtout à la rareté de leur refrain (ils ne sont chantés que deux fois dans chaque morceau).
Amplifier ne se contente pas des rudiments heavy stoner psychédéliques qui font l'ossature de la plupart des morceaux, il y adjoint une multitude d'éléments harmoniques et de variations rythmiques apportant amplitude et relief. Le meilleur exemple est sans doute le fabuleux 'Supernova', qui vient juste après la superbe ballade acoustique 'Anubis', avec ses atmosphères spatio-psychédéliques enivrantes. On pourrait aussi ajouter les magnifiques chœurs qui renforcent un secteur de mieux en mieux abordé par Sel Balamir (notamment dans les duos gagnants 'Big Daddy' et 'Rainbow Machine' avec la chanteuse Beth Bishop), les effets toujours originaux sur les guitares (fuzz et reverb sur ‘Rainbow Machine’, la wah wah sur ‘Silvio’), les textures de claviers (' Freakzone', ' Kosmos (Grooves Of Triumph)') et les guitares acoustiques (et banjo) qui doublent les accords électrifiés ('Old Blue Eyes', 'Rainbow Machine', 'Kosmos').
Enfin, impossible de ne pas mentionner la monstrueuse section rythmique à l'œuvre dans "Trippin' With Dr. Faustus" constituée de la basse stratosphérique d'Alex Redhead qui fait parfois jeu égal avec la guitare en imposant sa présence autoritaire ('Old Blue Eyes' et 'The Commotion') et de la batterie de Matt Brobin, artisan des cadences tour à tour lourdes et pachydermiques ('Kosmos', 'The Commotion'), enlevées (le feu d'artifice sur 'Silvio' et 'Old Blue Eyes') ou pleines de groove ('Big Daddy'). Leur apport respectif, et celui de la seconde guitare de Steve Durose, parfaitement intégré depuis son arrivée en 2011, est cardinal dans le rendu sonore impressionnant de puissance de "Trippin' With Dr. Faustus".
La pochette de "Trippin' With Dr. Faustus", délibérément criarde et hallucinante, donne le ton d’un Amplifier audacieux et étourdissant. C’est aussi le disque le plus abouti de la discographie tentaculaire de Sel Balamir et consorts, celui dans lequel accessibilité et exigence se conjuguent de la meilleure des manières. S’il y a bien un disque d’Amplifier à écouter pour se familiariser avec son rock tranchant et son univers décalé nourri de l’imaginaire de la science-fiction et du psychédélique, c’est définitivement "Trippin' With Dr. Faustus".