La création et la sortie d'un deuxième album sont souvent révélatrices non seulement des difficultés à repartir de zéro pour un nouveau projet mais aussi des vicissitudes de la vie de groupe. Ainsi Innerspace n'échappe pas à cette règle des questions existentielles : rester sur ses acquis, évoluer mais jusqu'à quel point ? Comment, avec quels moyens et avec qui ? Les seuls rescapés de l'aventure de "The Village" sorti en 2012 sont Simon Arsenault et Phil Burton. Il a donc fallu recruter les nouveaux musiciens puis ensuite passer par l'épreuve d'une longue campagne de financement pour accoucher de "Rise" qui vient d’atterrir dans notre rédaction.
Bien que manquant d'une personnalité bien affirmée, défaut courant pour un premier album, "The Village" avait eu une belle résonance chez Music Waves et nos lecteurs, en proposant un rock progressif dans une veine très floydienne. Inutile de dire que "Rise" était attendu au tournant. Initialement, l'album était prévu pour être double mais le groupe a légèrement revu ses ambitions pour faire tenir sa nouvelle œuvre sur un seul CD, en fonction des moyens. Un mal pour un bien peut-être.
D'emblée les choses se mettent en branle et il suffit de passer l'introduction aux chants grégoriens et les premières notes de 'Tree Of Life' pour se rendre compte qu'Innerspace a fait évoluer sa musique. Le titre développe une superbe mélodie, belle à pleurer, au piano pendant dix minutes au cours desquelles viendront se greffer tour à tour le violon, quelques instruments à vents invités et, bien entendu, la guitare qui fait son entrée tardivement avec grâce et subtilité. Le manque d'amplitude qui pouvait faire défaut au premier album est gommé ainsi que les références trop marquées avec Pink Floyd. Bien entendu cette connotation est toujours présente, notamment dans le titre le plus symptomatique 'In Motion' qui compile les samples et les envolées de guitare superbement exécutées par Simon Arsenault.
Prenant le contre-pied de son prédécesseur, certains titres tranchent vraiment avec celui-ci en apportant plus de personnalité entre le délicat 'The Other Side', piano-voix interprété en finesse par Phil Burton, le rock presque US de 'Under The Spotlight' avec un refrain porteur sous les vivats d'un public conquis ou le rapide 'Fill The Void' à la mélodie hypnotique et accrocheuse.
Mais que serait un album progressif sans son morceau à tiroirs ? Passés les sept premiers titres mélodiquement accessibles et plutôt néo progressifs, vient le temps de 'Dystopian Delirium', titre de 27 minutes découpé en cinq parties plus denses et dans une veine qui rappelle Neal Morse Band. Succédant à une ouverture vocale en canon de langue latine, les claviers old school s'y font très présents avec des sonorités à l'orgue ('Shadow Of Freedom') pour atteindre une jouissance fusionnelle orchestrale dans le cœur du morceau ('Forsaken Dreams'). Ensuite, le groupe calme le jeu jusqu'à la fin de ce morceau de bravoure ('Stronger Than Death', 'Dusk'). L'aspect progressif y est donc plus prononcé et demandera plusieurs écoutes avant de se dévoiler totalement.
Innerspace a réussi avec ce "Rise" superbement composé et interprété à trouver la bonne formule pour son second album, en conservant une assise qui fait son essence, tout en musclant et variant ses atours. Grâce à ses quelques aspérités et ses touches symphoniques formidablement amenées, le groupe accentue l'aspect cinématographique de sa musique permettant de véhiculer de nombreuses émotions. Cet album peut largement prétendre à l'album prog/neo prog de l'année et constitue un incontournable.