Il en rêvait depuis des décennies, et c'est au crépuscule de la carrière de son groupe fétiche que Frank Bornemann parvient enfin à réaliser son grand projet, celui de mettre en musique celle pour qui il a consacré une partie de sa vie à en étudier l'histoire, celle qui le passionne depuis très longtemps et dont les amateurs du groupe allemand avaient déjà pu recevoir quelques éléments sous la forme de deux titres parus dans les années 90 sur "Destination" et "The Tides Return Forever". Jeanne d'Arc est donc mise à l'honneur sous la forme d'un concept en deux parties, la seconde devant théoriquement voir le jour en 2018.
Suivant la chronologie de l'Histoire, l'album s'ouvre très logiquement avec une évocation de la guerre de cent ans, et les premières notes de 'The Age of the Hundred Year's War' vont tout de suite rassurer les fans du groupe allemand : après un "Visionary" plutôt quelconque, le grand Eloy est incontestablement de retour, et la suite du programme ne fera qu'amplifier cette impression. Oh certes, rien de révolutionnaire par rapport aux canons habituels du groupe, mais les compositions sont intelligemment construites et surtout, elles collent parfaitement à l'ambiance des thèmes évoqués dans chacun des titres. 'Chinon', le titre le plus long et le plus progressif de l'album, nous emmène ainsi dans une ambiance moyenâgeuse à souhait, renforcée notamment par un trio de flûte à bec judicieusement intégré à la composition.
L'ensemble sonne comme une synthèse de tous les albums composant la très longue discographie du groupe. Exemple le plus abouti de cette impression ? Le titre 'The Prophecy', dans lequel on retrouve des claviers cosmiques à la Tangerine Dream, des voix féminines cristallines, les guitares tranchantes façon "Performance", des chœurs d'enfants, et puis bien évidement la basse formidable de Klaus Peter Matziol. Celle-ci est une nouvelle fois la pierre angulaire de l'album, et la véritable mélodiste du groupe. L'auditeur est bien sûr en terrain connu, d'autant plus qu'Eloy réutilise habilement le thème de 'Jeanne d'Arc' (issu de "Destination") sur 'Early Signs', ainsi que les chœurs de 'In the Company of Angels' (paru sur "The Tides Return Forever") dans l'excellent 'The Sword …', ce dernier proposant même des rythmiques impaires propres à contenter le plus exigeant des proggueux ! Et ces chœurs qui concluent l'album évoqueraient même un certain 'Child in Time' !
Mais l'ensemble est suffisamment homogène et si bien conçu que jamais l'ennui ne guette, bien au contraire, y compris dans les quelques parties narratives qui parsèment l'album, habituels points faibles de ce genre de réalisation, qui ici sont véritablement accompagnées par une musique tout sauf anecdotique, la deuxième partie de 'The Call' et sa formidable ligne de basse en étant le meilleur exemple.
Si la cote de sympathie autour de "Visionary" tenait essentiellement au plaisir de retrouver un groupe que l'on croyait éteint, ce nouvel album vient poser un nouveau jalon incontournable dans la discographie d'Eloy qui, vu l'âge avancé de son principal inspirateur, risque probablement de s'achever avec la deuxième partie du concept. Il s'agirait alors d'un final de toute beauté pour peu que le prochain opus se révèle du niveau de celui-ci.