1973 : YES publie "Tales From the Topographic Oceans", double pavé vinylique, considéré par certains comme un chef-d'oeuvre ultime, et par d'autres comme un exercice de style rébarbatif. Andy Tillison se range dans la première catégorie et, 32 ans plus tard, utilise ce monument comme album de chevet et source d'inspiration dans le processus de création du troisième album de The Tangent, dream-team progressive multinationale au sein de laquelle un nouveau Flower King (Jaime Salazar) a fait son apparition.
Sur le fond, The Tangent propose effectivement une œuvre immense et variée s'étalant sur plus de 78 minutes, rejoignant en cela son illustre prédécesseur. Néanmoins, la forme ne confine jamais au plagiat de leurs glorieux aînés. Tout juste pourra-t-on remarquer une certaine similitude dans les graphismes somptueux du livret avec l'œuvre originale de Roger Dean, et du côté musical, un "GPS Culture" d'inspiration yessienne, tendance années 90, avec une basse ronflante et des claviers tout en délicatesse.
Encadré par deux suites de 20 et 25 minutes, le reste de l'album propose une variété incroyable de styles, allant du jazz au néo-progressif le plus pur, en passant par des breaks aux harmonies parfois dissonantes, le tout s'enchaînant de manière très naturelle et sans jamais choquer l'oreille de l'auditeur.
Il en va ainsi du titre éponyme de l'album, qui déroule sur 25 minutes une véritable symphonie, proposant notamment une lente montée en puissance instrumentale, soutenue par le saxophone de Theo Travis et des interventions de flûtes jubilatoire, avant de se prolonger en un feu d'artifice musical digne de Transatlantic.
Même constat sur "In Earnest" qui ouvre l'album : l'auditeur se retrouve emporté dans un flux musical aux ambiances multiples, duquel il ressort 20 minutes plus tard sans avoir vu passer le temps, les thèmes s'enchaînant les uns après les autres sans temps mort.
Les autres morceaux sont (presque tous) du même acabit : ainsi, "Lost in London" qui développe son atmosphère langoureuse sur une base rythmique syncopée quasi-brésilienne, ou encore "The Sun in my Eyes", sorte d'Ovni présentant une section de cuivres dynamique et une rythmique disco, dignes de la fin des années 70.
Deux petits bémols à apporter toutefois dans cette floppée d'éloges. "DIY Surgery", petit morceau (heureusement) très court, et totalement hors-sujet avec son ambiance jazz/funk et sa voix trafiquée. Et puis surtout, une voix pas franchement à la hauteur des fabuleux instrumentistes du groupe : manque de technique ? Mixage trop plat ? Heureusement, cela ne suffit pas à gâcher le plaisir.
The Tangent délivre un album en tous points remarquable, qui réjouira à la fois les amateurs de prog complexe qui trouveront un plaisir sans cesse renouvelé lors de chaque écoute, et ceux qui se sentent parfois désorientés au moment d'aborder des concepts aussi fouillés. A ces derniers (dont je fais quelquefois partie), je ne saurai que trop conseiller de prendre un peu de temps pour rentrer dans cette œuvre, l'expérience en vaut vraiment le détour.